L’expérience intérieure
Dans Je ne suis pas encore morte, l’Américaine déroule le récit d’un drame personnel, sondant sa mémoire et son corps pour mettre enfin des mots sur ce traumatisme.
Lacy « jaillit par la porte vitrée », titube. Ou bien ne titube pas… Elle s’échappe, se rend directement au commissariat. Il est possible qu’elle ne se souvienne pas bien. Il est possible, pendant les quatorze années qui ont précédé la parution de son livre en 2014, qu’elle se soit « détournée », que son corps se soit « décomposé » qu’elle ait retenu un hurlement.
« J’ai voulu transformer ma relation à ces souvenirs, trouver un langage me permettant de raconter une histoire qui semblait indicible », précise Lacy M. Johnson, interrogée par l’auteure Alex Marzano-Lesnevich à l’occasion de cette traduction. Dans cette histoire, le point nodal est cet homme plus âgé qu’elle, son prof d’espagnol à l’université, avec qui elle va vivre pendant deux ans et demi. Il est l’homme qu’elle a aimé, qui l’a fait voyager, mais qui a exercé sur elle une emprise, et sur son corps, son pouvoir de mâle qui frappe, menace, viole. Celui qu’elle a fini par quitter et qui, six mois plus tard, l’a retenue dans un sous-sol pendant cinq heures.
LA TUER POUR DE BON
À ce traumatisme, Lacy M. Johnson se confronte frontalement, avec courage et honnêteté. Elle fait part de ses ressentis, examine les manifestations d’un corps où demeure un « espace condamné », et les émanations de sa crainte constante, attente glaçante, qu’il revienne la tuer pour de bon. Adoptant souvent une position distanciée, sans ôter à son écriture sa subjectivité et sa poésie, elle dilue « l’histoire » au milieu d’autres, pour ne plus s’y assujettir. Je ne suis pas encore morte n’est ni le témoignage d’une victime ni une catharsis, mais le livre d’une auteure, apprentie poète devenue professeure et écrivaine, qui partage un vécu où s’infiltre une réflexion sur les tours et détours de l’esprit et les liens entre mémoire et récit. « L’histoire est un piège, une énigme, un paradoxe, écrit Lacy M. Johnson. La terminer, c’est créer une porte » et, avec elle, une échappatoire.