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CÉCILE LADJALI

À l’école des lettres

- CÉCILE LADJALI

Le ministre de l’Éducation nationale vient d’annoncer la labellisat­ion de cinquante-quatre nouveaux internats d’excellence. Il s’agit d’offrir un cadre de travail digne aux élèves qui ne peuvent trouver chez eux un lieu propice à l’étude. Je me souviens d’une lycéenne qui s’isolait dans la cage d’escalier de son immeuble – à côté du local à poubelles – pour trouver le calme indispensa­ble à la rédaction de ses devoirs, l’appartemen­t surpeuplé n’étant guère propice à l’exercice.

L’hôtel de Vogüé, situé dans le 7e arrondisse­ment de Paris, accueiller­a à la rentrée prochaine la première promotion du Programme Baudelaire. Les étudiants boursiers qui étudieront au sein de cet hôtel particulie­r bénéficier­ont d’une formation d’excellence mise en oeuvre par la Fondation Robert de Sorbon et profiteron­t de la beauté d’un cadre historique en accord avec le contenu des matières enseignées : lettres, philosophi­e, histoire des arts. La salle de classe, le jardin, les salons où les oeuvres des élèves seront accrochées deviendron­t le miroir symbolique des humanités transmises.

Car il n’y a pas d’esprit sans un lieu lui étant dédié.

Me revient souvent en mémoire une émission enregistré­e à la bibliothèq­ue Médicis du Sénat. Après cette heure de causerie délicieuse passée en compagnie d’incunables du

xvie siècle, je me suis retrouvée en Seine-Saint-Denis sous les barres d’immeubles attenantes au lycée. Ma rétine avait imprimé le souvenir ébloui de maints trésors baroques et je me disais que les professeur­s étaient les derniers passeurs entre ces temples gracieux et le désert. J’ai parlé autant que j’ai pu aux élèves de ce que je venais de voir. J’ai tenté de les transporte­r ailleurs.

Mais j’ai vu leurs visages tristes, entendu leurs mots : « Ce n’est pas pour nous. Hier, on n’a pas osé pousser la porte du CDN car les gens à l’entrée nous regardaien­t de travers » ; « Et les promenades au jardin du Luxembourg ?

C’est à vingt minutes du lycée en métro » ; « On ne va pas à Paris à cause de notre accent. On a honte. On reste ici. On tient les murs. »

La ghettoïsat­ion linguistiq­ue va de pair avec l’architectu­re. Leur no man’s land (du métro au lycée, il n’y a aucun café, aucune librairie, seul un marchand de pompes funèbres) est plus qu’une métaphore : il devient la traduction sensible de l’absence de mémoire, de repère et d’enthousias­me. Offrir un cadre digne aux élèves, inventer des Thélème dans Paris au lieu de vendre des immeubles entiers aux banques ou aux compagnies d’assurances serait la preuve que nos institutio­ns ont sincèremen­t tenté de se mettre à la place de ceux qui restent trop souvent un prétexte à leur discours empathique.

Il n’y a ni snobisme ni condescend­ance à écrire ces lignes, seul un constat : ceux qui fantasment sur les quartiers n’y vivent pas. Les architecte­s nantis qui ont conçu ces horreurs suburbaine­s ne s’y retournent pas davantage que Loth sur Sodome et Gomorrhe en feu. Les élèves rêvent de s’arracher à un milieu. Or cela n’a jamais été aussi diffwwicil­e. L’architecte Peter Zumthor lie le bâtiment (plus encore que le mot) à l’ontologie : « Nous avons tous fait l’expérience de l’architectu­re avant de connaître le mot lui-même. […] Les racines de notre compréhens­ion de l’architectu­re plongent dans notre enfance, notre jeunesse, elles se trouvent dans notre biographie. » Tout doit donc être tenté pour que le lieu où est dispensé le savoir soit à la hauteur de ses hôtes.

Le Programme Baudelaire ouvrira ses portes en septembre, rue de Martignac. Baudelaire, qui a « longtemps habité sous de vastes portiques/Que les soleils marins teignaient de mille feux, /Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,/Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltique­s ».

LEUR NO MAN’S LAND EST PLUS QU’UNE MÉTAPHORE

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