LES MAISONS D’ÉDITION FACE À L’AFFLUX DE MANUSCRITS
Face à l’afflux de nouveaux manuscrits nés pendant le confinement, les éditeurs, déjà confrontés aux reports de leurs parutions, doivent aujourd’hui résoudre une équation complexe dont les aspirants écrivains s’avèrent l’une des variables d’ajustement.
Pour nombre d’écrivains en herbe, le premier confinement a été synonyme d’accomplissement et de temps retrouvé, propice à la concrétisation d’anciennes ou de soudaines velléités d’écriture. Mais pour les éditeurs, le terme rime depuis près d’un an avec « encombrement », puisque les manuscrits des premiers ont bien fini par atterrir dans les locaux des seconds, qui tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme. Si quelques maisons avaient au printemps dernier encouragé les auteurs débutants à repousser l’envoi de leur texte, la plus célèbre d’entre elles a franchi, début avril, un nouveau cap. « Compte tenu des circonstances exceptionnelles, nous vous demandons de surseoir à l’envoi des manuscrits. Prenez soin de vous toujours et bonnes lectures », lit-on ainsi sur le site des éditions Gallimard qui, d’une trentaine de manuscrits reçus chaque jour par voie postale en temps normal, en réceptionnent quotidiennement près du double depuis un an.
Une recrudescence constatée par la plupart des maisons, quelle que soit leur taille : entre janvier et mars 2021, les éditions du
Seuil comptaient déjà 1 200 manuscrits reçus alors qu’elles en enregistrent en moyenne 3 500 par an, ceci augurant une nouvelle année record. La démocratisation des envois numériques (certaines maisons, comme les éditions de L’Observatoire, n’acceptant plus les manuscrits en format papier) concourt par ailleurs à l’affluence et aux embouteillages qui en découlent, puisqu’il suffit à présent d’un simple clic pour soumettre ses écrits.
PEU DE PLACE DANS LES LIBRAIRIES
À cette équation déjà complexe viennent encore s’ajouter d’autres variables. Bien qu’aujourd’hui reconnues comme des « commerces essentiels », les librairies ont été contraintes, au printemps et à l’automne 2020, de baisser leur rideau, entraînant des reports de parutions que les éditeurs doivent désormais écouler, ne laissant que peu de place aux nouveaux venus. « Chez Stock, nous avons fait le choix, dès le début du premier confinement, de resserrer notre catalogue pour donner leur chance aux titres retenus, et d’en reporter, presque à un an pour certains. Une décision difficile pour les auteurs qui étaient prêts à les présenter et à rencontrer leurs lecteurs, mais qui a permis leur parution dans de bien meilleures conditions, pour eux et pour les libraires », indique Émilie Pointereau, éditrice. Et pour relancer la machine, encore faut-il que les livres se vendent. D’après un rapport publié fin mars par le Centre national du livre, « l’année 2020 est marquée par une baisse globale de la lecture », un constat qui, mis en parallèle avec l’étude Harris Interactive réalisée entre mars et mai 2020 indiquant qu’un Français sur dix avait profité du premier confinement pour écrire, renforce l’idée d’un système saturé.
Faut-il pour autant renvoyer aux calendes grecques son projet d’être publié ? Sera-t-il à l’avenir nécessaire de participer à des ateliers d’écriture (comme ceux proposés par la NRF) pour avoir une chance de faire son entrée dans un catalogue ? Si certains éditeurs informent sur leur site Internet de « délais allongés » dans le traitement des manuscrits, la porte reste pour l’heure ouverte, et il existe à l’ère du tout-numérique bien d’autres canaux que l’envoi traditionnel de son manuscrit pour se faire repérer. Après tout, si la porte est fermée, le proverbe n’encourage-t-il pas à passer par la fenêtre ?