DE LA PART DE LA CIA
Franz-Olivier Giesbert, qui évoqua un temps la question animale dans sa chronique du Magazine littéraire, est de retour avec un roman bien senti et engagé sur ce thème.
Une grande partie de la planète – Covid oblige – trouve impossible de se projeter à plus de dix jours. Et que nous propose la CIA ? D’imaginer 2040 ! À chaque présidentielle, son National Intelligence Council (NIC) se livre à cet exercice de prospective. La nouvelle mouture est donc arrivée. Bonne lecture Mr Biden !
Des espions élaborant des scénarios furieux destinés au président et qui nous seraient révélés par une fuite : voilà qui est digne d’un film à gros budget « brucewillysien », mais bien loin de la réalité malgré le « CIA » inscrit en gros sur la couverture. Depuis deux décennies, à chaque élection, le NIC se livre à un exercice grand public de prévision à moyen terme. Le résultat est toujours assez étonnant car, sans révélation majeure, l’ouvrage – intitulé Le Monde en 2040 vu par la CIA – réussit le tour de force de mêler démographie, économie et politique, de multiplier données et grandes tendances pour élaborer plusieurs scénarios. Tombe-t-il juste ? Plutôt, à en croire Thomas Gomart, le directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI) : « Deux méthodes existent pour faire de la prévision : la première consiste à tirer des courbes, les commenter et les passer au tamis des interrogations, ce que fait le NIC. La deuxième consiste à réfléchir aux ruptures, à imaginer ce qui pourrait interrompre les grandes tendances. » Difficile d’anticiper le Covid mais, en se replongeant dans l’édition pour 2030 (à destination d’Obama), il est intéressant de voir que le scénario tablant sur un affaiblissement de l’Europe et un creusement des inégalités s’avère très crédible.
Le cru Biden insiste – sans surprise – sur la pression démographique et la question climatique mais également sur le danger des dettes mondiales. « C’est fondamental ! selon Thomas Gomart. En cas de remontée des taux, les conséquences géopolitiques seraient très fortes. » Autre point : le décalage entre attentes des populations et aptitude des gouvernants à y répondre, ainsi que la polarisation des identités. « En creux, c’est une description des États-Unis,
décrypte le directeur de l’IFRI. Lorsqu’on fait de la prévision pour le pays, le degré de cohésion nationale après la période Trump est la question centrale. » Cette tension autour des identités touche ainsi l’ensemble des sociétés.
UN MONDE « À LA DÉRIVE ET SANS RÈGLE »
La lutte pour la suprématie technologique1 occupe une place importante dans les scénarios. « Cette suprématie est indispensable sur les plans militaire et économique. L’enchevêtrement est très fort entre ce qui relève du monde militaire et du monde civil. »
C’est le terrain de lutte entre la Chine et les États-Unis. Parmi les cinq scénarios envisagés, celui de la polarisation autour de ce conflit est le plus plausible ; un autre imagine une Chine puissance numéro un d’un monde « à la dérive et sans règle ». Le dernier, glaçant, décrit des émeutes meurtrières à Philadelphie causées par des rumeurs sur les réseaux sociaux de pénurie de pain, une montée de l’acidité des eaux catastrophique et in fine un partenariat Union européenne/Chine sous pression écologique. « Je trouve ce scénario intéressant car il anticipe l’écologie politique et son évolution. En France, en particulier, cette dernière ne souhaite pas aborder les questions stratégiques. En Chine ou aux ÉtatsUnis, la politique climatique est de plus en plus pensée comme un aspect de la sécurité nationale. »
La grille de lecture de ce livre est américaine. La France en est absente, l’Europe peu évoquée. Cette nouvelle édition a déjà été tirée à 15 000 exemplaires. Le dernier opus s’est vendu à 30 000 copies. « C’est clairement un objet de communication politique, une manière pour les États-Unis d’exercer un leadership intellectuel sur l’expertise portant sur les questions internationales, note Thomas Gomart. Le poids des idées en politique internationale ne dépend pas de leur pertinence mais du rapport de force. Quand vous produisez un rapport dans le cadre du NIC, vous bénéficiez des effets démultiplicateurs militaro-diplomatique américain et de la capacité de diffusion médiatique. » L’UE pourrait rédiger un tel document, estime le directeur de l’IFRI, mais pas le diffuser comme un best-seller, incapable qu’elle est d’installer un leadership politique et intellectuel. « Les Européens ont des difficultés à répondre à ce type de texte car ils ont plus de mal à penser en termes de puissance. »
« Par rapport au livre, la question à se poser est : comment est-il lu à Pékin et que va produire Pékin pour y répondre », s’interroge Thierry Gomart. Et cette réponse semble plus importante que de savoir si Joe Biden a lu ce document passionnant et riche, présenté par certains comme une bible. Mais si c’est une bible, elle porte la bannière étoilée. 1. À lire, Guerres invisibles de Thomas Gomart (L’Observatoire).
Si l’homme descend du singe, il existe entre le porc et lui bien des similitudes. Génétiquement parlant, entendons-nous. Persuadé « d’avoir été cochon dans une vie antérieure », Charles n’a aucun mal à revendiquer ce cousinage, au point de se glisser dans la peau d’un cochon promis à l’abattage. « Nous, les défenseurs de la cause animale, nous devrions frapper un grand coup pour que leurs yeux s’ouvrent enfin », affirme-t-il un soir devant Patrick et Laura, animalistes convaincus. Entre eux, le pacte est scellé : afin de dénoncer le sort réservé aux animaux d’élevage, Charles accepte de subir le même destin et de se dépouiller de ses attributs d’homme – jusqu’aux plus intimes. « Nous avions convenu que j’écrirais le journal de mon engraissage tandis que Laura tournerait un film. » Jusqu’au coup fatal.
D’humiliations en mutilations, l’absurdité de ce calvaire volontaire prêterait à sourire s’il n’était le reflet d’un esclavage moderne industrialisé. Fils de la campagne, Franz-Olivier Giesbert a compris dès l’enfance ce que l’homme était capable d’infliger à ses « frères animaux ». Après deux plaidoyers pour la cause animale parus en 2014, il choisit, dans Rien qu’une bête, de faire sienne l’assertion d’Émile Zola selon laquelle « la cause des animaux passe avant le souci de [s]e ridiculiser ».