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L’ANTRE DE TOLSTOÏ, UNE MAISON DE CAMPAGNE

Très attaché au domaine d’Iasnaïa Poliana, où il était né, l’écrivain russe y avait installé un cabinet de travail fort modeste.

- Robert Kopp

«

Je n’ai rien vu en Russie de plus grandiose, de plus saisissant que la tombe de Tolstoï, écrit Stefan Zweig dans Le Monde d’hier. Un petit monticule quadrangul­aire au milieu de la forêt, dominé par de grands arbres – nulla crux, nulla corona ! pas de croix, pas de pierre tombale, pas d’inscriptio­n. Le grand homme est enterré anonymemen­t, lui qui a souffert comme aucun autre de son nom et de sa gloire, tout comme un vagabond qu’on aurait trouvé par hasard, comme un soldat inconnu. »

« Tolstoï a disparu », avaient titré les journaux du monde entier en octobre 1910. L’auteur avait quitté en effet la propriété d’Iasnaïa Poliana, à une dizaine de kilomètres de Toula, où il était né, en 1828, et où il avait passé toute sa vie, à l’exception de quelques années de jeunesse à Moscou, vécues comme un exil, de sa participat­ion à la guerre de Crimée et d’un voyage en France, en Suisse et en Italie. Il avait fui les siens, sa femme Sophie, énergique administra­trice de son domaine, et ses enfants, pour mourir seul, de froid, dans la gare d’Astapovo, alors qu’il comptait peut-être rejoindre une communauté religieuse.

UNE ÉCOLE POUR LES PAYSANS

Le domaine d’Iasnaïa Poliana lui venait de son grand-père maternel, le prince Nicolas Volkonski. La demeure datait du xviiie siècle, mais une partie avait été vendue en 1854, pour régler, semble-t-il, une dette de jeu ; elle fut reconstrui­te à 30 kilomètres, près de Dolgoïe. Agrandie de nouveau, elle pouvait accueillir plusieurs dizaines de personnes, dont un médecin attaché à la famille. En 1859, deux ans avant que le tsar Alexandre II n’affranchis­se les serfs, Tolstoï a fait construire en plus une école, le sort non seulement matériel, mais aussi intellectu­el, spirituel et moral, de ses paysans étant devenu une de ses priorités.

C’est au rez-de-chaussée que l’écrivain avait installé son cabinet de travail, dans une petite salle voûtée. Ilia Répine, qui a laissé plusieurs portraits de l’écrivain, non seulement lisant ou écrivant, mais aussi derrière une charrue, le représente dans une bure de paysan, assis à une table chargée de papiers, entouré de murs où sont accrochées une faux et une scie, ou contre lesquels est posée une pelle. C’est là que sont nés Guerre et Paix et Anna Karénine.

On fait admirer aussi au visiteur un autre cabinet de travail, au premier étage, qui contient nombre d’objets dont l’écrivain se serait servi toute sa vie, dont un presse-papier en verre, de couleur vert foncé, que lui auraient offert les ouvriers de la verrerie de Maltsov après son excommunic­ation provoquée par la publicatio­n de Résurrecti­on. On y lit : « Très Honoré Léon Nikolaïevi­tch, vous avez partagé le sort des nombreux grands hommes qui étaient en avance sur leur siècle. Jadis, on les brûlait sur les bûchers ou on les laissait pourrir dans des cachots. Les pharisiens et les grands prêtres peuvent vous exclure comme bon leur semble et comme ils veulent, le peuple russe sera toujours fier de son grand frère, cher et très aimé Tolstoï. »

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L’écrivain TolstoÏ dans son cabinet de travail, par Ilia Répine (huile sur toile, 1891).

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