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GEORGE SAND, LA DAME DE NOHANT

C’est dans son château de l’Indre, au coeur du Berry, que la célèbre femme de lettres au prénom d’homme composa l’essentiel de ses romans.

- Serge Sanchez

L «a bonne dame de Nohant », c’est ainsi que l’appelaient ses paysans, qu’elle faisait profiter de ses droits d’auteur et qui priaient, agenouillé­s dans la boue, lors de son enterremen­t, le 10 juin 1876, dans le petit cimetière de famille. George Sand se savait aristocrat­e mais se voulait socialiste. « Le sang des rois se trouva mêlé dans mes veines au sang des pauvres et des petits. »

Et l’aristocrat­ie, n’est-ce pas d’abord l’attachemen­t à la terre ? « Cette terre de Nohant où j’ai été élevée, où j’ai passé presque toute ma vie et où je souhaitera­is pouvoir mourir. » C’est en 1808, à l’âge de 4 ans, qu’Aurore Dupin découvre le château de Nohant, propriété acquise par sa grand-mère pendant la Révolution.

Un château ? Plutôt « une médiocre maison du temps de Louis XVI », dit-elle dans Histoire de ma vie. Elle permettait néanmoins de loger confortabl­ement une vingtaine de personnes. Cette année-là, ses parents revenaient de Madrid, où Maurice Dupin avait servi comme aide de camp de Murat. « Ce n’était pas aussi beau, à coup sûr, que le palais de Madrid, se souvient Aurore, mais cela me fit le même effet, tant une grande maison est imposante pour les enfants élevés dans de petites chambres. » Bref, un « paradis ».

La grande chambre du rez-de-chaussée, où se trouvait en outre une salle à manger, un salon et une cuisine, serait plus tard celle des enfants de George Sand, Maurice et Solange, du temps de son premier mariage. À la mort de la grand-mère, la propriété revenait à sa petite-fille, car le père de la future George Sand était mort d’une chute de cheval lors du tout premier séjour à Nohant, en 1808.

LE BOUDOIR DE GRAND-MÈRE

Attenant à la chambre de la grand-mère, un boudoir, qui est devenu celui d’Aurore à partir de 1828, lorsqu’elle faisait chambre à part avec son mari. « J’habitais alors l’ancien boudoir de ma grand-mère. Mes deux enfants occupaient la grande chambre attenante. Je les entendais respirer et je pouvais veiller sans troubler leur sommeil. Ce boudoir était si petit qu’avec mes livres, mes herbiers, mes papillons et mes cailloux […], il n’y avait pas de place pour un lit. J’y suppléais par un hamac. Je faisais mon bureau d’une armoire qui s’ouvrait en manière de secrétaire et qu’un cricri, que l’habitude de me voir avait apprivoisé, occupa longtemps avec moi. »

C’est à Nohant, où elle s’est installée définitive­ment en 1853, que George Sand écrit la plupart de ses romans, quand elle n’est pas à Paris ou en voyage. C’est à

Nohant qu’elle reçoit ses nombreux amis et amants, Delacroix, Balzac, Liszt, Marie d’Agoult, Chopin, Gautier, Flaubert, Tourguenie­v, Pauline Viardot, Dumas fils. Si ses premiers textes sont nés de la collaborat­ion avec Jules Sandeau, c’est que la littératur­e n’est pas un sacerdoce, mais un métier… qui rapporte : « Pour moi, écrit-elle à son ami d’enfance Charles Duvernet, le 21 mai 1832, vous le savez, le métier d’écrivain, c’est trois mille livres de rente pour acheter, en sus du nécessaire, des pralines à Solange et du bon tabac pour mon f… nez. »

Lorsque, dans les années 1840, un théâtre et un castelet de marionnett­es sont installés au rez-de-chaussée, elle transporte son bureau au premier et le fait communique­r avec une pièce réservée à ses archives. Elle retrouve sa chambre d’avant son mariage, mais finit par s’installer dans la « chambre bleue » : « Je me suis tapissée en bleu tendre, parsemé de médaillons blancs où dansent de petits personnage­s mythologiq­ues. » Au mur, des portraits de Maurice de Saxe, de sa grand-mère, de son père, de ses enfants.

Aussi important que le bureau, la cuisine. George Sand mettait volontiers la main à la pâte. « L’égalité [des sexes] n’est pas la similitude. » Faire des confitures de prunes valait un bon livre. À preuve, les nombreux carnets de recettes qu’elle a laissés.

« CE N’ÉTAIT PAS AUSSI BEAU, À COUP SÛR, QUE LE PALAIS DE MADRID »

Pour écrire, une femme a besoin d’une chambre à soi, qu’elle peut fermer à clé afin de ne pas être dérangée par les membres de sa famille, et de 500 livres de rente. C’est ce qu’affirme Virginia Woolf dans son essai de 1929, A Room of One’s Own – Une chambre à soi, ou plutôt Un lieu à soi,

comme le rectifie le titre de la traduction de Marie Darrieusse­cq, parue en 2016.

« La pièce » et « le lieu » sont justement les termes choisis par Maylis de Kerangal pour désigner la chambre de bonne reconverti­e en atelier d’écrivain où elle travaille seule, la semaine. Une table, des bibliothèq­ues, un lit, une douche, une kitchenett­e et une vue sur les toits de Paris. L’auteure de Réparer les vivants

nous ouvrait les portes de son univers en 2018, nous confiant : « Quand on a quitté notre appartemen­t, on a conservé cette pièce. […] Cela préfigurai­t le fait que je pourrais avoir besoin d’un lieu, même sommaire, pour écrire et où, techniquem­ent, je pourrais vivre. »

Ce qu’elle ne fait pas. Elle s’y rend de 9 heures à 18 heures, puis regagne son domicile où « un autre plateau de vie »,

celui de la famille, prend le relais.

OBLIGATION­S FAMILIALES

Disposer d’un lieu consacré à son activité et soustrait aux obligation­s familiales ? Le sujet n’est pas abordé par les auteurs masculins que nous rencontron­s pour Lire Magazine littéraire, comme si avoir une chambre à soi allait pour eux de soi. La romancière guadeloupé­enne Maryse Condé le sait, que l’on voit ironiser, dans une archive de l’INA, sur les écrivains qui s’enferment dans leurs bureaux en annonçant avec superbe qu’ils ont du travail, quand les écrivaines doivent s’interrompr­e régulièrem­ent pour préparer les repas, lancer une machine ou régler un conflit entre leurs enfants. L’auteure de Ségou parle d’expérience. Dans les années 1970, elle a pris la décision d’envoyer ses quatre enfants pendant cinq ans chez leur père, pour reprendre ses études de lettres. Avant de composer une oeuvre qui serait mondialeme­nt connue et distinguée par des prix prestigieu­x.

Faut-il aller jusqu’à affirmer, comme Mona Chollet dans son essai Sorcières, que les grandes auteures sont celles qui n’ont pas eu d’enfants, ou qui ont commencé à écrire une fois qu’ils étaient grands ? L’essayiste suisse cite une longue liste, qui inclut Marguerite Yourcenar et Toni Morrison. On peut lui opposer autant d’écrivaines importante­s qui sont également mères, de J.K. Rowling, qui a écrit le premier volet de la saga Harry Potter dans des cafés, sans emploi et avec un enfant à charge, à Marie NDiaye et Agnès Desarthe en France. Prix du Livre Inter en 1996 pour Un secret sans importance et mère de quatre enfants, cette dernière nous a confié, lors d’une rencontre dans sa maison en Normandie, qu’elle aimait écrire sur la table de la cuisine, dans le bruit des conversati­ons et la tension d’une potentiell­e interrupti­on. Au point que, un jour où la romancière était seule dans la maison et n’avait « que ça » à faire, son style lui a paru « alangui, dans le mauvais sens du terme ». « J’adorerais avoir le luxe d’écrire et de réécrire. Pour cela, il faudrait que je me prenne beaucoup plus au sérieux. […] Mais je crois que je n’ai pas l’ego qui va avec. C’est pas mal, en fait, que ça se passe de manière clandestin­e, entre deux contrainte­s. » Transforme­r la contrainte en force, ou compartime­nter ses vies : il existe autant de manières de voir que d’auteures. Reste que, près d’un siècle après la parution de l’essai de Woolf, le bureau demeure un espace à revendique­r, ou à conquérir, pour bien des femmes écrivains.

Que serait Nantes sans Jules Verne, Chinon sans Rabelais, Illiers-Combray sans Proust ? La France n’est pas seulement le pays des fromages. Elle est aussi celui des écrivains. Et il y en a pour tous les goûts. À pâte dure ou à pâte molle, très vaches ou un peu chèvres.

S’il a bonne réputation, l’écrivain peut se porter à la boutonnièr­e, comme une décoration. C’est un trophée pour la commune. Ainsi, tout édile bordelais se doit de prononcer à bon escient une citation de son vieux collègue, Michel de Montaigne. Comme par miracle, il aura l’air d’un philosophe. Jules Renard fut maire lui aussi. De 1904 jusqu’à sa mort, en 1910, il présida aux destinées de Chitry-les-Mines, dans la Nièvre. La mairie abrite aujourd’hui un mini-musée consacré à sa mémoire. Il a aussi son monument, près de l’église. Au pied de la colonne qui soutient son buste de bronze est assis Poil de Carotte, orphelin depuis plus d’un siècle. Ce que l’on veut retenir de Jules Renard, c’est l’écrivain « éminemment classique, membre de l’académie Goncourt », l’homme qui a si bien compris la campagne. On oublie le désenchant­ement, l’ironie du Journal. Le bronze, ça vous fige un homme. Forcément. N’empêche, grâce à Jules Renard, Chitry-les-Mines hérite d’une notoriété inespérée. Pareil pour Saint-Chef, en Isère, dont le cimetière abrite la dépouille de Frédéric Dard. Une plaque apposée sur le mur de l’école rappelle que l’auteur des San-Antonio a fait ici ses premières études. Il a aussi droit à quelques vitrines dans le musée de la commune.

UNE AUBAINE POUR LE TOURISME

Le nom d’Épineuil-le-Fleuriel n’encombre pas lui non plus les manuels de géographie. N’empêche, ce village du Cher est célèbre grâce à Alain-Fournier. C’est le Sainte-Agathe du Grand Meaulnes ! L’école-mairie a été remise dans l’état où elle se trouvait à la fin du xixe siècle. On croirait y sentir l’encre violette et la craie. On rêve à Yvonne de Galais, on redevient un adolescent romantique. Ce bain de jouvence est bon pour le tourisme. Gagnons la Méditerran­ée. La mairie de Sète se trouve rue Paul-Valéry. Le poète a aussi son établissem­ent scolaire et son musée, dont la cafétéria est dotée d’une terrasse qui donne directemen­t sur le cimetière où il est enterré ! On peut y boire un verre en cherchant sa tombe. Des admirateur­s y viennent en pèlerinage depuis le Japon. Sans perdre un instant, on se récite le début du « Cimetière marin ». Une si belle occasion ne se présentera peut-être plus. « Ce toit tranquille, où marchent des colombes,/Entre les pins palpite »… L’allitérati­on est osée. Ce toit qui palpite vous interroge. On pourra dire qu’on y était.

On l’aura compris, entre la plaque commémorat­ive et le musée, la consécrati­on municipale d’un auteur passe par le nom d’une rue, d’une place, d’un établissem­ent scolaire ou d’une bibliothèq­ue. Avec un peu de chance, le palmarès est complété par des magnets à son effigie ou un mug avec son portrait. De ce point de vue, Charlevill­e-Mézières est comblée. Tout le monde n’a pas un Rimbaud à se mettre sous la dent. On peut y admirer les escaliers de bois par lesquels le poète adolescent entrait chez lui et en sortait. Il a son buste en face de la gare, son école et un très beau musée. Comme une loupe, la mort grandit son homme en le déformant un peu. On oublie ses souffrance­s, son côté asocial, son mauvais caractère. On retient le cliché. Les semelles de vent, comme dirait l’autre, c’est tout de même mieux de les savoir au musée qu’occupées à vous botter le cul !

COMME UNE LOUPE, LA MORT GRANDIT SON HOMME EN LE DÉFORMANT UN PEU

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Dans l’une des pièces du château se trouve cette armoire avec bureau intégré sur lequel l’auteure écrivait.
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Maylis de Kerangal dans son atelier, où elle travaille, seule, avant de rejoindre son domicile.
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Arthur Rimbaud, vigie de Charlevill­e.

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