Saint-Germaind’antan
Dans un récit sensible pour happy few nostalgiques, cet homme aux mille vies évoque un monde littéraire que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître.
Né en 1946, Michel Braudeau est encore un jeune homme – il a le même âge que David Gilmour, de Pink Floyd, l’un de ses groupes préférés. Jeté dans le monde avec la génération pop, il n’a pas voulu larguer toutes les amarres. Montaigne et Stendhal lui importaient autant que David Bowie. Comment gagner sa vie honnêtement ? En travaillant dans l’édition. Avant de frayer en solitaire, il forma un tandem avec Jean-Marc Roberts au Seuil. « J’aimais le Seuil, ma première maison, alors bien inspirée. » Il est vrai qu’Édouard Louis n’était pas encore au catalogue. Braudeau se voyait finir très vieux rue Jacob, mais Roberts eut la bougeotte ; il le suivit au Mercure de France, puis le duo se sépara. Braudeau prendrait plus tard la tête de La Nouvelle Revue française , comme Jean Paulhan avant lui.
L’ART DU PORTRAIT
La Porte dorée est la suite de Place des Vosges et Rue de Beaune, textes mélancoliques et enlevés où Braudeau brille par son art du portrait. Dans La Porte dorée,
il consacre plusieurs pages savoureuses à Antoine Gallimard, dépeint en monarque incernable. Braudeau lui est resté fidèle : « De temps en temps, j’entendais parler de l’avarice d’Antoine, comme si dans d’autres établissements on eût payé des fortunes. […] Je n’aimais pas que l’on critique Antoine. »
Puisqu’il n’y a pas que les livres dans la vie, Braudeau évoque aussi des souvenirs amoureux, des reportages, des voyages.
Fanatique de Rimbaud depuis l’adolescence, il a le privilège d’accompagner en Abyssinie l’immense Jean-Jacques Lefrère. Le biographe du poète ne semble pas avoir été sa tasse de thé : « Tyrannique et passionnant, il se voulait le moteur de tout, le grand maniaque incontestable. » Harar, bien sûr, est irrespirable. Braudeau ne précise pas s’il a pensé là-bas à un autre membre de Pink Floyd né en 1946, le plus rimbaldien des rockeurs : Syd Barrett.
Du boulevard Saint-Germain à l’Éthiopie, il aura en tout cas promené partout ses semelles de vent, conduisant sa vie sans feuille de route. Ceux qui aimeraient se lancer dans l’édition devraient en prendre de la graine.