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Pleurs sur la ville

Évocation d’un Beyrouth dévasté après les explosions de 2020, le récit illustré de la Franco-Libanaise est à la fois un hommage aux victimes et une charge contre un système de corruption généralisé­e.

- Rabih Hawa

Il y a des instants, dans la vie, que l’on n’oublie jamais. Pour Lamia Ziadé, le 4 août 2020, à 18 h 07 précisémen­t, fait partie sans aucun doute de ces moments essentiels. Dans Mon port de Beyrouth, cette auteure et illustratr­ice franco-libanaise rend un hommage vibrant aux victimes de l’un des accidents industriel­s les plus dévastateu­rs de ces cinquante dernières années.

Ce projet de récit illustré, elle avait d’abord refusé de le réaliser, car elle ne s’en sentait pas la force, avant de se lancer finalement, pour nous plonger au coeur de ce drame qui a fait tant de morts, de blessés, et qui a éventré une partie de la capitale libanaise. Cette catastroph­e, ce sont 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium laissés à l’abandon dans le hangar n° 12 de la zone portuaire de Beyrouth. Lamia Ziadé remonte des années en arrière afin de s’interroger sur son pays et de jeter la lumière sur l’enchaîneme­nt d’événements qui ont conduit à cette issue.

RAGE, TRISTESSE ET COMPASSION

Par son récit et ses dessins superbemen­t mis en couleurs, l’auteure de Bye bye Babylone nous parle de situations aberrantes, comme ces murs de maisons entièremen­t détruits, alors que vaisselle et poteries sont demeurées intactes. Des hôpitaux proches ont été également détruits avec leur matériel, amplifiant le désastre.

Au fil des pages, on ressent cette rage viscérale envers la classe politique corrompue, tenue pour responsabl­e de cette tragédie. On saisit aussi sa tristesse et sa compassion envers les Libanais, qui ont fait oeuvre de résilience, telle cette infirmière qui sauva trois bébés de leurs couveuses cassées. Les dessins des victimes, des silos, du port et des événements eux-mêmes nous placent au coeur de ces scènes de chaos et de souffrance. Reproducti­ons de photos de famille, de coupures de journaux ou de paysages dévastés – autant de documents glanés au fil de l’entreprise –, ces magnifique­s illustrati­ons au style faussement naïf apportent une dimension supplément­aire à l’ouvrage, et une belle part d’humanité. Sous-titré C’est une malédictio­n, ton pauvre pays !, ce livre documentai­re est une pierre essentiell­e pour comprendre l’histoire du Liban et cet échec politique cuisant, dû à cinquante années de dysfonctio­nnements et de défaillanc­es.

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 ??  ?? MON PORT DE BEYROUTH. C’EST UNE MALÉDICTIO­N, TON PAUVRE PAYS ! LAMIA ZIADÉ 232 P., P.O.L, 23,90 €
MON PORT DE BEYROUTH. C’EST UNE MALÉDICTIO­N, TON PAUVRE PAYS ! LAMIA ZIADÉ 232 P., P.O.L, 23,90 €

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