Réensauvager le monde
Déplorant le recul de la nature face à l’homme, le documentariste anglais expose sa solution dans un nouvel essai : rendre à la planète un peu de l’espace que l’humanité lui a pris.
Une vie sur notre planète commence à Prypiat, en Ukraine, ancienne cité modèle de l’ex-URSS. Aujourd’hui, c’est une ville fantôme, abandonnée par ses habitants. Le 26 avril 1986, la centrale de Tchernobyl a explosé à quelques encablures. « Cela a souvent été qualifié de pire catastrophe environnementale de l’histoire. Ce n’est pas exact, écrit David Attenborough. La véritable tragédie de notre temps [est] le déclin accéléré de la biodiversité. » Le grand documentariste anglais a fait de la défense de la faune et de la flore – souvent reléguée au second plan des négociations sur le climat – le coeur de sa thèse : pour sauver la planète, il faut rendre à la nature un peu de l’espace que l’humanité lui a pris.
Icône naturaliste, voix off ultra-célèbre, figure de l’écologie, Attenborough est l’homme de télévision le plus populaire au monde et la personne préférée des Anglais après la reine. Au cours de ses soixante ans de carrière à la BBC, il révolutionne le documentaire et fait découvrir la vie sauvage à des millions de téléspectateurs. Pour Life on Earth, diffusée à partir de 1979, il visite 39 pays, filme 650 espèces, parcourt 2,5 millions de kilomètres. L’émission sera visionnée par 500 millions de personnes dans 100 pays. Il croisera la route de Dian Fossey et des gorilles des montagnes, contribuera à l’interdiction de la chasse à la baleine, filmera la fonte des pôles. Greta Thunberg dit avoir été sensibilisée à l’environnement en partie grâce à ses films.
À 94 ans, son histoire est mêlée au désastre écologique. « Je suis né dans un autre temps, écrit-il, pendant l’Holocène (12 000 ans de stabilité climatique), et je vais le quitter pendant l’Anthropocène, l’ère des êtres humains. En fait, il se pourrait qu’elle soit la période la plus brève de l’histoire géologique, et qu’elle se termine avec la disparition définitive de la civilisation humaine. »
De 1937 à 2020, la population mondiale est passée de 2,3 à 7,8 milliards, le CO2 dans l’atmosphère a doublé et la température moyenne a augmenté de 1 °C. Selon WWF, la population d’animaux sauvages a diminué des deux tiers en moins de cinquante ans. Cette accélération mène à un déclin d’ici à 2100 : disparition de l’Amazonie, montée des eaux, fonte du pergélisol, acidification des océans, crise humanitaire et migrations majeures.
« TOUS COUPABLES »
« Nous sommes tous coupables, admet Attenborough, mais il faut reconnaître que ce n’est pas notre faute », car la prise de conscience est récente, selon lui. Contrairement aux pessimistes, il estime qu’il « existe une alternative viable » : l’homme doit « réensauvager le monde ». Pour cela, il faut partager l’espace, créer des zones de non-pêche, passer à un régime végétarien et mettre un terme à la déforestation. Lenaturaliste ne prône pas le retour à une nature idéalisée mais une coexistence plus harmonieuse entre l’homme et la nature.
David Attenborough n’est ni collapsologue ni décroissant : il compte sur le progrès technologique et sur les énergies propres, et promeut une croissance qui prenne en compte l’impact écologique et le bienêtre humain. Pour stopper la progression démographique (un pic à 11 milliards est prévu pour 2100), il défend un néomalthusianisme qui passerait par une scolarité plus longue pour les filles. Il court encore les congrès internationaux afin de persuader les puissants d’impulser des changements. Son essai s’achève où il a commencé, à Prypiat. Les arbres et les animaux sauvages ont envahi la ville. Un phénomène décrit dans le documentaire L’Année où la Terre a changé : avec la moitié de l’humanité confinée, la nature s’est déconfinée.