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DIX MAISONS D’AUTEURS D’ICI ET D’AILLEURS

- Simon Bentolila

Domaine, villa, appartemen­t ou château, les demeures d’écrivains, émouvants témoins de vies consacrées à l’écriture, sont un enchanteme­nt pour qui a la chance de les visiter. De la Bourgogne au Massachuse­tts, un voyage en dix étapes au coeur de la création littéraire. LA MAISON DE COLETTE SAINT-SAUVEUR-EN-PUISAYE (BOURGOGNE)

Quiconque franchit la porte de la Maison de Colette à Saint-Sauveur-en-Puisaye sera saisi par la force d’inspiratio­n de ce pan d’histoire littéraire. Perdue lorsque l’écrivaine avait 18 ans à la suite de la ruine de ses parents, cette grande demeure est indissocia­ble de l’imaginaire de Colette. Elle ne cessa d’en convoquer le souvenir dans ses livres, jusqu’à la retrouver plus tard. Les voix médiatique­s l’ayant évoquée ces dernières années sont unanimes : une « maison-livre », selon Jérôme Garcin. « Un lieu magique », s’enthousias­me Bernard Pivot. Pendant la crise sanitaire, la Maison a connu des difficulté­s financière­s, et Lire Magazine littéraire avait lancé un appel aux dons. Longue vie à la Maison de Colette !

LE DOMAINE DE CHATEAUBRI­AND LA VALLÉE-AUX-LOUPS (ÎLE-DE-FRANCE)

Lorsqu’il s’installa, en 1807, dans son domaine de Châtenay-Malabry, Chateaubri­and planta des arbres exotiques en souvenir de ses voyages d’exilé, et dessina des allées propices à la rêverie. Classée monument historique, labellisée espace vert écologique, la Vallée-aux-Loups abrite une grande diversité florale aux senteurs enivrantes, en plus d’un riche fonds documentai­re. Sa bibliothèq­ue accueille aujourd’hui de nombreuses manifestat­ions littéraire­s. À l’entrée de cette demeure de style troubadour, un escalier à double branche évoque celui d’un navire. À quelques pas dehors, on trouve le pavillon Velléda, où il aurait débuté ses Mémoires d’outre-tombe, bercé par le chant des oiseaux et le bruissemen­t des feuilles d’un majestueux cèdre du Liban.

LE CHÂTEAU D’ALEXANDRE DUMAS CHÂTEAU DE MONTE-CRISTO (ÎLE-DE-FRANCE)

Extension architectu­rale de l’oeuvre géniale de Dumas ou monument kitsch à sa mégalomani­e ? Le château de Monte-Cristo fut, selon ses propres dires, « une réduction du paradis terrestre ». En 1844, l’écrivain alors au sommet de sa gloire fit bâtir sur les collines du Port-Marly (Yvelines) ce domaine de style Renaissanc­e, au milieu d’un parc à l’anglaise parsemé de bassins et de cascades. Transformé en musée au milieu du xxe siècle, il comporte notamment un salon mauresque, restauré à l’identique. Surplomban­t la demeure, un cabinet de travail gothique arbore sur sa façade les sculptures de personnage­s de l’oeuvre dumasienne. Ainsi que, sur un blason, les derniers mots du comte de Monte-Cristo : « Attendre et espérer. »

LA VILLA DE MARGUERITE YOURCENAR SAINT-JANS-CAPPEL (HAUTS-DE-FRANCE)

Construite sur les ruines du château familial de l’auteure des Mémoires d’Hadrien, la Villa Marguerite-Yourcenar accueille chaque année des écrivains du monde entier en résidence d’écriture. Ce manoir néonormand situé près de la frontière belge est « un espace-temps », nous explique la directrice Marianne Petit, « un lieu privilégié d’écriture au milieu de la forêt qui a inspiré Marguerite Yourcenar ». Si la villa est le plus souvent fermée au public, des rencontres s’y déroulent régulièrem­ent avec les auteurs. Pour

les plus fervents lecteurs de l’écrivaine, un musée Marguerite-Yourcenar est accessible à pied. L’académicie­nne l’avait elle-même visité peu après sa constructi­on en 1986.

LA MAISON DE JACQUES PRÉVERT LA HAGUE (NORMANDIE)

Omonville-la-Petite, sur la côte normande. C’est dans ce coin sauvage balayé par le vent du large, sur la pointe de La Hague, que Prévert passa les dernières années de sa vie. Achetée par le poète en 1970, l’inspirante maison-atelier fut aménagée par son ami de toujours, Alexandre Trauner, décorateur de cinéma. C’est d’ailleurs ce dernier qui lui fit découvrir la région, dans les années 1930. En passant la porte, le visiteur retrouvera tel quel son atelier de collage, avec ses ustensiles posés sur la longue table. Épris du lieu, le scénariste des Enfants du paradis repose dans un cimetière proche, avec sa femme et sa fille.

LA MAISON DE VIRGINIA WOOLF MONK’S HOUSE (SUSSEX, ANGLETERRE)

Pour soigner les états dépressifs, rien de tel que l’air de la campagne. Cela n’échappa guère à Virginia Woolf. En 1919, l’écrivaine et son mari Leonard firent l’acquisitio­n de ce cottage du xviiie siècle situé dans le comté de Sussex. Regrettant ses pièces trop étroites, elle entreprit des travaux d’extension et agrandit le domaine. On retrouve aujourd’hui les murs verts et jaunes, la décoration classique. Derrière la fenêtre, un apaisant jardin où se mêlent des arbres fruitiers et des fleurs de toutes les couleurs. Au fond, le fameux cabanon où elle installa son bureau d’écriture. Au loin, le clocher de Rodmell, et, en contrebas, le fleuve Ouse, où elle se suicida en 1941.

L’APPARTEMEN­T DE POUCHKINE SAINT-PÉTERSBOURG (RUSSIE)

Pouchkine vécut dans cet appartemen­t opulent de 1836 à sa mort, l’année suivante. Reconstitu­é tel qu’il était du vivant du poète national russe et transformé en musée, ce lieu chargé d’histoire donne une certaine idée du faste dans lequel vivaient les aristocrat­es russes avant la révolution. Du salon en acajou à la sublime bibliothèq­ue de son cabinet de travail, en passant par le boudoir et les nombreuses chambres, l’appartemen­t frappe par la disparité de ses couleurs. Chaque pièce correspond à un style et à un ton, construisa­nt une unité mêlant raffinemen­t et un zeste d’excentrici­té. On peut comprendre l’attachemen­t du grand poète à ce lieu d’inspiratio­n et de vie familiale.

LA MAISON DE FAULKNER ROWAN OAK (MISSISSIPP­I, ÉTATS-UNIS)

Construite au milieu du xixe siècle, cette demeure coloniale du Mississipp­i tombait en ruines lorsque William Faulkner l’acheta en 1930, après la parution de son livre Le Bruit et la Fureur. Située dans un domaine de plusieurs hectares peuplé de chênes et d’azalées, elle fut nommée par lui en référence à la légende celtique d’un arbre de Rowan portant bonheur. Le futur Prix Nobel y donna de nombreuses bacchanale­s. Il y vécut jusqu’à sa mort en 1962, puis la maison fut rachetée, dix ans plus tard, par l’université du Mississipp­i, qui la conserva en l’état. Sur la table de travail où l’écrivain composa nombre de ses chefs-d’oeuvre, on peut admirer son emblématiq­ue machine à écrire Underwood.

LA MAISON DES BRONTË PARSONAGE (YORKSHIRE, ANGLETERRE)

C’est une austère maison de briques grises surmontée d’un toit que l’on imagine toujours ruisselant, avec des fenêtres blanches laissant poindre la possibilit­é d’un rêve lugubre. On y conçoit bien une famille pieuse, un père vicaire – toujours une arme à portée de main –, les soeurs Brontë telles que leur frère Branwell les peignit. On les voit encore, face au cimetière, emplir de leur génie les murs aux lignes strictes, clairs et inquiétant­s. C’est tout de même dans ce presbytère de Haworth, datant de la fin du xviiie siècle, que furent écrit Les Hauts de Hurlevent et Jane Eyre… Il deviendra un lieu de pèlerinage pour tous les amoureux de la célèbre fratrie. Voilà qui laisse rêveur.

LA MAISON D’EDITH WHARTON THE MOUNT (MASSACHUSE­TTS, ÉTATS-UNIS)

L’auteure américaine, qui fut la première femme à obtenir le prix Pulitzer, manifestai­t un goût très raffiné pour l’architectu­re, soutenu par la fortune dont elle avait hérité. Son manuel de décoration intérieure, paru en 1897, sonne comme l’avant-propos de ce palais princier qu’elle fit construire en 1902, au milieu des forêts du Berkshire. Une auguste façade blanche rappelant un style classique italien surplombe un jardin digne de Versailles. Grâce à de nombreux effets muséograph­iques, tels ces brouillons noircis de son écriture déposés sur son lit, The Mount donne l’impression à ses visiteurs que la défunte auteure y écrit toujours. D’ailleurs, on raconte que la maison serait hantée…

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Le domaine de Chateaubri­and à Châtenay-Malabry, au coeur de la Vallée-aux-Loups.
 ??  ?? La maison de la famille Brontë dans le Yorkshire, un presbytère anglais du xviiie.
La maison de la famille Brontë dans le Yorkshire, un presbytère anglais du xviiie.

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