Lire

JUVÉNAL, ÉCRIVAIN DES RUES

À quoi ressemblai­t le cadre de travail de ce poète romain qui, entre le Ier et le IIe siècle, moqua les moeurs de ses contempora­ins dans ses célèbres satires ?

- Maxime Rovère

Malgré les apparences, cet homme hirsute assis sur des marches du quartier mal famé de Subure, à Rome, n’est pas un mendiant. Bien qu’il semble à son aise entre un chien endormi et les mouettes qui se disputent des épluchures, il est professeur d’éloquence – on dit qu’il a aussi une petite ferme à la campagne, du côté de Tibur. S’il marmonne dans sa barbe en regardant les passants, s’il éclate d’un rire franc lorsqu’une litière passe, ce n’est pas qu’il cuve son vin après une folle nuit. Il se frappe le front : « Qui est assez servile pour pouvoir supporter une ville aussi veule ? » Les tessons d’amphore autour de lui ne sont pas les débris de ce qu’il a bu ; c’est sur eux qu’il griffonne au charbon les insultes qu’il décoche à la société de l’Empire. « Toutes les affaires des hommes, désirs, craintes, colères, jouissance­s, agitations dans tous les sens, je fourre tout ça dans mon livre ! »

Son heure préférée est le petit matin, lorsque la lumière vient éclairer ce que la nuit devait cacher : jeunes premiers et princesses venus se prostituer, convives vomissant turbot aux olives et daim en sauce, joueurs refaisant les comptes de la partie. « Alors, grince-t-il en les voyant, c’est juste un petit caprice de rien du tout de perdre cent sesterces alors qu’on refuse une tunique à l’esclave qui grelotte ? » C’est dans la rue que Juvénal écrit, parce qu’il aime que ses doigts, au moment de composer ses vers, portent jusqu’à la crasse et les odeurs de Rome. Son latin colle comme ces marches. « Tu trouves que je t’enferme dans des exemples trop rigoureux ? Bon, alors mets-y un peu des moeurs d’aujourd’hui. »

 ??  ?? Le poète Juvénal, par Wenceslas Hollar (gravure, 1660).
Le poète Juvénal, par Wenceslas Hollar (gravure, 1660).

Newspapers in French

Newspapers from France