À pleines dents
Parce que de prestigieuses bonnes fées (Hilary Mantel et Kate Atkinson, esbaudies par son « irrésistible » premier roman) ont eu la grâce de se pencher sur son berceau, Lauren Owen semble avoir été victime, outre-Manche, d’un léger malentendu. Dissipons-le d’emblée : si Le Club Aegolius s’inscrit bien dans une fertile tradition de littérature gothique, il lorgne davantage du côté de Bram Stoker que de Charles Dickens. Autrement dit, c’est une histoire de vampires, ce que l’on ne saisit qu’aux alentours de la page 115, lorsque le jeune poète James Norbury (dont l’enfance tourmentée, au coeur d’un domaine du Yorkshire, nous a été contée en ouverture) fait, à Londres, une déplaisante rencontre, et qu’un étranger flegmatique plante ses dents dans le cou de son petit ami Christopher. Le récit, dès lors, bascule : club secret, prédateurs féroces, chasseurs déterminés, etc., au sein d’un décor où rien ne manque, ni les cabs furtifs ni les hautes maisons blanches. De l’art de faire du neuf avec du vieux ? Lauren Owen n’en reste pas là, qui injecte une appréciable dose de queer dans sa romance fin-de-siècle et, tout au long d’un récit diffracté, pare ses créatures aristocratiques de caractéristiques nouvelles : la musique les gêne, les pieux les indiffèrent… L’amour peut-il résister au désir, à l’horreur, au temps ? La question n’est pas neuve, mais elle est ici traitée avec un sens consommé de la dramaturgie.
LE CLUB AEGOLIUS (THE QUICK) LAUREN OWEN TRADUIT DE L’ANGLAIS (ROYAUME-UNI) PAR EMMANUELLE ERTEL, 528 P., ACTES SUD, 25 €