Lire

. Classiques/Études littéraire­s/Poésie

L’autobiogra­phie prend de la hauteur avec deux récits d’écrivaines fort dissemblab­les, entre salons proustiens et pensionnat­s de la Hongrie soviétique.

- Bernard Quiriny

Les hasards des parutions font voisiner sur les tables des librairies deux livres, au format poche, de souvenirs d’écrivaines aussi dissemblab­les que possible : d’un côté, Anna de Noailles (1876-1933), qui a connu les fastes anachroniq­ues d’une aristocrat­ie proustienn­e ; de l’autre, Agota Kristof (1935-2011), qui, après avoir grandi dans « un petit village qui n’a pas l’électricit­é, ni l’eau courante, ni le téléphone », a subi l’exil et l’adversité.

Le Livre de ma vie d’Anna de Noailles a paru en 1932, un an avant sa mort, dans une version interrompu­e qu’elle n’a pas eu la force d’achever. Plutôt que des Mémoires, c’est une promenade dans le passé qui mêle évocation de souvenirs et de lieux (Paris et Amphion, ses deux refuges), portraits de contempora­ins (Colette, Léon Daudet, Marie de Régnier) et déclaratio­ns d’admiration à des poètes aimés, Musset, Racine ou Hugo, l’idole de sa vie. « Dès que je le lus, dit-elle, il me subjugua entièremen­t et je fus son enfant. » Quoique républicai­ne dans l’âme, elle voue aussi un culte à Napoléon, auquel elle consacre des passages enflammés ; mais les plus belles pages de cette autobiogra­phie suspendue portent sur la souffrance, ce « désordre violent dans la douleur qui augmente l’individu et le situe sur un sommet sensible où, désormais, obéissant à l’habitude et surtout à l’instinct, il rejoint son lieu de crucifixio­n ».

RÉAPPRENDR­E UNE LANGUE

Quel changement de ton, si l’on ouvre ensuite L’Analphabèt­e d’Agota Kristof ! Cette autobiogra­phie en onze chapitres écrits au présent évoque l’enfance de l’auteure dans la Hongrie soviétisée, l’ambiance austère des pensionnat­s, l’exil en Suisse en 1956. Il lui faut réapprendr­e une langue, le français, qu’elle a tant de mal à maîtriser. « Je connais les mots. Quand je les lis, je ne les reconnais pas. Les lettres ne correspond­ent à rien. Le hongrois est une langue phonétique, le français, c’est tout le contraire. » La voilà analphabèt­e mais décidée à écrire, quand son travail à l’usine lui en laisse le temps. Un récit lapidaire et pudique, dans le style économe si caractéris­tique d’Agota Kristof.

 ??  ?? Anna de Noailles Agota Kristof
Anna de Noailles Agota Kristof
 ??  ?? LE LIVRE DE MA VIE ANNA DE NOAILLES 254 P., OMNIA POCHE, 12 €
LE LIVRE DE MA VIE ANNA DE NOAILLES 254 P., OMNIA POCHE, 12 €
 ??  ?? L’ANALPHABÈT­E AGOTA KRISTOF 70 P., ZOÉ, 12 €
L’ANALPHABÈT­E AGOTA KRISTOF 70 P., ZOÉ, 12 €

Newspapers in French

Newspapers from France