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« Ce film est né du désir de travailler avec Anthony Hopkins »

Auréolé, le 25 avril dernier, de l’Oscar de la meilleure adaptation pour The Father, avec Anthony Hopkins – également récompensé –, Florian Zeller revient sur cette expérience de cinéma… pour le moins inconforta­ble.

- Parce que je sentais que le cinéma pouvait donner plus de force à cette histoire. Au théâtre, l’expérience avec le public a été très forte : les spectateur­s parlaient de leur propre vécu et leurs réactions mêlaient catharsis, consolatio­n, douleur, fratern

Après vos succès en tant que romancier, dramaturge et metteur en scène, The Father est votre premier long-métrage. Adapté de l’une de vos pièces, il raconte l’histoire d’un homme confronté à la perte de mémoire. Qu’est-ce qui vous a le plus surpris en abordant le cinéma ?

Florian Zeller. Je savais que produire un film n’était pas facile, mais j’ai été surpris par tous les obstacles, notamment parce que The Father est une coproducti­on franco-britanniqu­e et que, à ce titre, il n’a bénéficié d’aucune aide. J’ai mesuré, par contraste, à quel point le système français est formidable. Pour le reste, ce qui m’a le plus impression­né, c’est l’intensité du moment : sentir que, pendant quelque temps, rien n’est plus important que de tourner un film. La vie se résume à cette absolue nécessité. Mais il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps non plus ! N’avez-vous jamais envisagé de tourner en français, avec des acteurs français ?

Non, jamais. Ce film est né du désir de travailler avec Anthony Hopkins, point. Et tourner en anglais ajoutait à l’inconfort dans lequel je voulais être, ce qui correspond­ait au sujet du film lui-même.

Pourquoi vous imposer cet inconfort ?

F.Z.

Puisque j’adaptais l’une de mes pièces, je ne voulais pas retrouver le processus du théâtre, que je connais. Sauter dans l’inconnu m’allait très bien. Surtout, The Father est l’histoire d’un homme qui perd ses repères et, si je voulais que le public ressente ce trouble, je devais moi-même l’appréhende­r. Anthony Hopkins est un acteur instinctif, et je lui ai demandé de ne rien fabriquer. Il n’y a pas eu de discussion­s avant le tournage, pas de répétition­s… Je ne voulais pas qu’il imite un vieux monsieur, je voulais que les émotions soient les siennes, pas celles de son personnage.

Votre pièce Le Père, qui a été créée en 2012, est le deuxième volet d’une trilogie, après La Mère (2010) et avant Le Fils (2018). Pourquoi adapter ce texte en premier ?

Dans quelle mesure ?

Le cinéma me permettait de jouer davantage avec le spectateur et sa perception du réel. Je ne voulais pas d’effets de mise en scène, mais rester dans le réalisme tout en racontant une histoire qui va peu à peu le troubler. Le public doit rester actif et se demander ce qu’il voit, ce qu’il ressent, exactement comme Anthony, le père. Ainsi, le décor changeant, le jeu avec les proportion­s, les objets, les couleurs du mur, tout cela contribue à la déstabilis­ation. Il fallait perturber le sentiment de familiarit­é. La mémoire est associée au temps, mais aussi à l’espace. Je devais créer un déjà-vu troublé.

On pense à David Lynch…

L’influence de Lynch était déjà présente au moment où j’ai écrit la pièce. Mulholland Drive est un film qui m’a marqué : une histoire volontaire­ment écrite comme un puzzle dont la constructi­on reste inaboutie.

Mais comment créer de l’empathie pour Anthony ?

Si j’oblige le spectateur à se demander ce qu’il voit et à accepter que le cerveau ne puisse pas tout comprendre, il fallait aussi que l’émotion ne soit pas uniquement un jeu de l’esprit, mais qu’elle soit liée au parcours d’Anthony. Grâce à Anthony Hopkins – oui, ils ont le même prénom –, je pense qu’on arrive à comprendre la trajectoir­e du personnage.

Outre David Lynch, quelles sont vos influences ?

La référence principale reste tout de même ma pièce ! Mais j’ai aussi songé à quelques histoires de huis clos : Rosemary’s

Baby de Roman Polanski ou Amour de Michael Haneke. Lorsqu’on adapte une pièce, la tentation est de sortir, d’aller dans la rue, de filmer le ciel… Je ne voulais pas y céder, et ces films-là m’ont conforté dans l’idée que l’on peut rester dans un appartemen­t. Ce que j’aime avec le cinéma, ce sont les émotions puissantes qu’il procure. Le dernier film qui m’a remué à ce point, c’est Manchester by the Sea, de Kenneth Lonergan, avec Casey Affleck. Lonergan est un auteur de théâtre devenu cinéaste, mais il fait vraiment du cinéma. Et il m’a donné confiance.

Vous êtes un auteur à succès, votre film a été aimé partout où il a été vu, vous accumulez les récompense­s… Vous n’en avez pas marre de tout réussir ?

N’avoir pas encore pu montrer ce film dans les salles est tout de même un échec. Réaliser un film demande une énergie telle que la récompense, c’est le rendez-vous avec le public. Je le connais au théâtre, pas au cinéma. C’est pourquoi je n’ai pas voulu que le film soit vendu à une plateforme, mais qu’il ait une vraie carrière en salle. J’ai hâte de le partager.

The Father, de Florian Zeller, avec Anthony Hopkins, Olivia Colman, Rufus Sewell, Imogen Poots… En salles.

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Florian Zeller savoure sa victoire depuis Paris, lors de la cérémonie des Oscars, le 25 avril.
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