Cap sur CapLan & Co*
Autour d’une salade grecque ou d’une partie de baby-foot, ce café-librairie breton propose à ses lecteurs de prendre le temps avant de choisir un livre. Un concept qui a essaimé dans la région.
C’est le Shakespeare and Company du Finistère. Pas étonnant, dès lors, que cela attire les convoitises. Dans les années 1960, Léo Ferré était un habitué du lieu, alors un bistrot de pêcheurs tenu par une certaine Nanan, qui avait son caractère. Le grand âge arrivant, la taulière avait décidé de céder son troquet qui donne sur la plage Poul Rodou. Le chanteur avait eu l’outrecuidance de se manifester. Commentaire laconique de Nanan : « J’ai une proposition de rachat, mais je n’ai pas envie de vendre ma boutique à ce gars-là, personne ne le connaît pas, il s’appelle Léo Ferrec » (sic).
Ferré ainsi éconduit, Nanan ne cède pourtant pas le bail à des Bretons pur sucre. C’est Caprini (une danseuse niçoise) et son compagnon Lan Mafart (alors chef des ventes au Seuil) qui parviennent à séduire l’inflexible vieille dame. Ils lui rachètent les murs et lancent en 1993 CapLan & Co, une librairie qui ne se contente pas de vendre les livres de saison : l’endroit est aussi un café à la cave bien approvisonnée. Et parce qu’il n’y a pas que la lecture dans la vie, on peut y jouer au baby-foot ou aux boules bretonnes entre deux bolées de cidre frais. Qu’on ne parle pas à Caprini du dernier prix Goncourt ou des romans portés aux nues par la presse littéraire : « CapLan & Co est avant tout une librairie indépendante : la pression médiatique et les listes des meilleures ventes n’influencent guère nos choix. On choisit les livres qu’on a aimés ou qu’on pense aimer. » Précisons pour ceux qui auraient un manuscrit sous le coude que CapLan & Co est en outre une petite maison d’édition aussi pointue que, mettons, José Corti – dans les rares références du catalogue, on trouve des titres tel Neuf préludes celtes de José Carlos González.
L’originalité de ce lieu ouvert tout l’été, et du vendredi au dimanche en période scolaire ? On peut s’y accorder ce luxe appréciable : y perdre son temps. Boire et discuter entre amis. Contempler la mer depuis la terrasse. Y manger des loukoums et des spécialités grecques (le goût de Caprini) ou des crêpes (celui de la région). Feuilleter un livre pendant deux heures et ne finalement pas l’acheter. C’est la flânerie considérée comme l’un des beaux-arts. En 1993, c’était nouveau. Le concept de café-librairie a plu, et on en compte désormais une trentaine dans la région. Dans un pays où l’on était habitué à attendre le retour des marins, c’est assez logique. Les vagues passent, CapLan demeure. *CapLan & Co, Poul Rodou, 29620 Guimaëc. Ouvert le mardi de 15 h à 22 h et du mercredi au dimanche de 12 h à 22 h.