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Et il n’en resta plus aucun

En Guadeloupe, sept hommes coupables d’un viol meurent l’un après l’autre. Voici La Couleur de l’agonie, dans lequel la romancière antillaise joue les Agatha Christie.

- Hubert Artus

Il y a toujours plusieurs romans en un, chez Jean-Hubert Gailliot – nombre de voyages improvisés aussi. Après Le Soleil – prix Wepler 2014 –, Actions spéciales se situe quelque part entre le gang des Postiches, Ocean’s Eleven, Pierre Siniac et Sacha Guitry, le tout mâtiné d’un certain esprit de comédie anglaise. Bref, tout pour l’aventure et pour une certaine subversion. Et ce, dès le départ, quand notre narrateur nous raconte comment il est « tombé sur Kepler, Natsumi, le Rintintin et Denise ». Quatre individus qui « s’enrichissa­ient en s’amusant », et dont l’axe des plaisirs consiste à s’affranchir de la loi sans (trop) l’enfreindre.

Quant à savoir si ces quatre petits bandits et grands dandys avaient prévu de rencontrer notre narrateur, il vous faudra plonger dans le livre pour le savoir : cette histoire se joue sur les routes, sur un bateau (de contreband­e), dans les petites salles de jeux catalanes et les casinos de MonteCarlo, voire autour des paris concernant la Coupe du monde de football 2014. Tout, ici, tourne et se détourne. Nos traficoteu­rs sont des marginaux qui cherchent non pas à se réfugier dans les marges, mais à en élargir les limites. Alternant entre texte et sous-texte, intrigue et contexte, aventure et cocasserie, le roman de Gailliot est, comme ses six précédents, savamment rusé.

Violence de la scène, et panique devant l’incompréhe­nsion de ce que nous sommes en train de lire. Dès le début de La Couleur de l’agonie, Gisèle Pineau prouve qu’elle maîtrise à la perfection les ressorts du polar. « Allez ! Écarte les jambes. Laissetoi faire ! J’te dis qu’il a l’habitude », intime Rose de sa voix « fielleuse » à son amie qui est allongée. Cette dernière est terrifiée. Sommes-nous les spectateur­s d’un viol ? Non, il a déjà eu lieu. Plusieurs semaines auparavant, la « fille Valirois » a été agressée sexuelleme­nt par sept hommes. « Sept mercenaire­s. Sept samouraïs. Sept nains. Sept violeurs », se souvient-elle depuis la chambre d’hôpital où elle a échoué après son avortement clandestin.

Écrits dans un style saccadé et direct, les souvenirs de la victime nous emportent dans leur spirale entêtante : la villa en Guadeloupe, et son amie Rose qu’elle a suivie à une soirée avec des « garçons de bonne famille ». Ils l’ont fait boire et fumer. Et puis, ils l’ont forcée. Sa mère, Jeanne-Marie, une bonne chrétienne, l’a rejetée. C’était l’été 1983, l’année de son bac. Elle n’a pas oublié les coupables : Lémy, le frère de son ami Rose, Sam, Paul, René, Jean-Séphor, Médard, Michel. Elle inscrit leurs noms sur un carnet.

Envoûtant, le récit de la victime alterne avec un autre situé en 2018. Nous voici avec Jessy Cantor, une policière hardie et un brin tordue qui s’apprête à être mutée de Paris à sa Guadeloupe natale. Nous sommes aussi avec les proches des violeurs. Ces derniers sont morts mystérieus­ement, l’un après l’autre. Dans un accident, l’incendie de leur maison, ou par étouffemen­t. Il n’en reste qu’un, Michel, l’historien – car Lémy, devenu zombie par excès de crack, ne compte plus parmi les vivants. Est-ce « la fille Valirois » qui se venge ? Jessy et son collègue Dan mènent l’enquête, des villes guadeloupé­ennes ravagées par la drogue aux campagnes où règnent les « gadèzafè » – ces magiciens, ou plutôt ces maîtres de la connaissan­ce qui rendent intelligib­les les phénomènes qui nous échappent.

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 ??  ?? LA COULEUR DE L’AGONIE GISÈLE PINEAU 470 P., CARAÏBÉDIT­IONS, 20 €
LA COULEUR DE L’AGONIE GISÈLE PINEAU 470 P., CARAÏBÉDIT­IONS, 20 €

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