Des mots de Minuit
Jusqu’alors inédits, les échanges épistolaires entre les auteurs du nouveau roman offrent un éclairage unique sur cette aventure littéraire.
Étant donné son caractère hétérogène, on a pu nier la réalité d’un mouvement appelé « nouveau roman ». Rappelons que celui-ci fut en quelque sorte inauguré en 1953 par la publication des Gommes, d’Alain Robbe-Grillet, aux éditions de Minuit. Cette maison, dirigée par Jérôme Lindon, rompait alors avec la littérature de la Résistance pour devenir un lieu emblématique de l’avant-garde. Cet ensemble de 24 lettres, couvrant cinquante ans de la petite histoire littéraire, confirme qu’il y eut bien une aventure commune, semée d’amitiés, de difficultés, d’encouragements et de stimulations réciproques. Michel Butor, Claude Mauriac, Claude Ollier, Robert Pinget, Alain Robbe-Grillet, Claude Simon, Nathalie Sarraute sont les remuants protagonistes de ce demi-siècle de création.
AUTOFICTION COLLECTIVE
Cet ouvrage à plusieurs voix, sorte d’autofiction collective, réinstalle dans le courant de la vie des oeuvres auxquelles on a pu reprocher un aspect outrageusement théorique, et qu’on considérait même réservées à l’étude d’une poignée d’universitaires américains quelque peu attardés. On y découvre souvent beaucoup d’affection. Ainsi, Claude Mauriac adresse-t-il en 1983 à Nathalie Sarraute une lettre touchante pour la parution de son livre : « C’est un grand livre, qu’Enfance […]. Mais, pour qui a eu dans sa vie la chance de vous connaître et de vous aimer personnellement, il prend des résonances et il a des beautés de surcroît. »
Ailleurs, c’est un goût du jeu, ou une drôlerie à laquelle Robbe-Grillet ne nous avait pas habitués. « Vieux toto, écrit-il à Claude Ollier en 1951, ça colle pas : y faudrait pas me prendre pour un miglionnaire ; […] Si y faut traîner dans les zotels et en plus verser 150 mille balles pour acheter ½ bagnole, ça ne va plus du tout, tu le comprendras sans peine ! » Le septuor connaîtra aussi des failles, des désaccords, voire de passagères disputes. Et chacun poursuivra sa voie en électron libre. Claude Simon, jusqu’au prix Nobel en 1985 !