En travers de Raoult
Les deux journalistes livrent un portrait assez complet du druide marseillais de l’hydroxychloroquine. Mais, malgré son sous-titre engageant – Une folie française –, l’essai reste faible sur la dimension sociologique et culturelle du phénomène.
Revenir, un an après, sur la dispute scientifico-politique autour d’un prétendu remède miracle qui a déchiré la France l’an dernier est une idée séduisante mais périlleuse. Sur le fond, la messe paraît avoir été dite, d’autant que le protagoniste de l’histoire s’est enferré depuis dans des discours insensés. Mais l’engouement passé incite à la prudence… Voilà pourquoi les grandes reporters Ariane Chemin et Marie-France Etchegoin ont préféré au pamphlet la forme a priori plus neutre du portrait.
Leur enquête porte sur son enfance – avec la figure centrale du père, un médecin colonel installé à Dakar puis à Marseille, lui aussi inventeur d’une potion magique, la supéramine, contre les carences nutritionnelles des jeunes Africains – et sa carrière – le catalogage dont il se vante, mais scientifiquement peu décisif, de nombreuses bactéries (et non virus), ses intrigues transpartisanes pour créer son IHU Méditerranée Infection, etc.
À juste titre, nos duettistes s’abstiennent de commenter son ahurissant « QI de 180 » (20 points au-dessus de celui, estimé, d’Einstein !), qu’il leur révèle dans un effet de manche… Elles ne pénètrent en revanche jamais vraiment dans la psychologie profonde de leur modèle. Celle-ci semble, il est vrai, lui être à lui-même aussi opaque, enfermé qu’il est dans un storytelling qu’il finit par confondre avec la réalité.
LA FAILLITE INTELLECTUELLE D’UN PAYS
Les deux « révélations » du livre – sa mère fut, jeune, la fiancée de Montherlant et sa mythique « aventure maritime » s’est ramenée à six mois d’animateur sur un paquebot de croisière – sont anecdotiques. Pour le reste, le portrait revisite les épisodes bien connus, les jugements à l’emporte-pièce du « grand savant », suivis – pas toujours – de ses dénis tardifs, de son quart d’heure warholien de célébrité mondiale grâce à l’hydroxychloroquine, les critiques des « experts », le soutien populaire, les doutes et enfin l’éclatement de la bulle.
Chemin et Etchegoin pointent bien la duplicité du personnage, anar de parade et autocrate dans la gestion de son labo, de droite et de gauche à la fois, confus, opportuniste politiquement. Mais, sur la morale de cette histoire, elles s’en tiennent à l’explication en termes de cet évasif « populisme ». Elles paraissent ainsi gober les prétentions « épistémologiques » du Maître, gonflées par les dithyrambes du « philosophe » Michel Onfray. Or, on trouve sur le Net une longue analyse rigoureuse, qui montre à quel point, dans la valse des renvois de Raoult à Nietzsche, Popper, l’antiméthodologue Feyerabend, le créateur de la notion de paradigme Thomas Kuhn, etc., on retrouve la même fausse érudition, grevée d’incohérences et de contresens, que dans les gloubi-boulgas théoriques de son ex-barde.
Cela aurait pu les conduire à une interprétation plus désobligeante : la saga dérisoire de feu « le plus grand infectiologue du monde » ne serait-elle pas aussi, d’abord, le miroir de cette abyssale faillite intellectuelle d’un pays qui se croit encore celui des idées, alors qu’il a confié l’établissement de la vérité à l’audimat, ses grands prêtres et ses suiveurs ? La vraie folie, collective, de cette pantalonnade…