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Simple comme un coup de fil ?

- Bruno Dewaele

S’il est un cas où le slogan de France Télécom pèche par excès d’optimisme, c’est bien cette tournure qui fait florès sur les ondes : « On s’est eus au téléphone. » On l’a relevée dans des bouches aussi diverses que celles de Martin Fourcade, de Cyril Hanouna ou de Claude Bartolone, ce qui dit assez l’ambitus de la chose. De fait, qui se vantera de n’en avoir jamais usé, quelquefoi­s pour la regretter aussitôt émise, plus souvent sans sourciller, presque toujours pour douter de son orthodoxie après réflexion ?

Passons rapidement, puisque ce n’est pas le sujet du jour, sur l’accord du participe. On sait que, aux yeux des génération­s d’avant-hier, pour lesquelles l’orthograph­e n’était pas une option, ce pluriel après « on » ne passe guère. Mais quand il est clair, comme ici, que ce on-là n’a rien d’un indéfini, qu’il renvoie moins au genre humain (heureuseme­nt pour le réseau !) qu’à des personnes identifiab­les, bref quand il gagnerait à être remplacé par « nous », l’accord est désormais encouragé par les grammairie­ns. De fait, « nous nous sommes eus au téléphone » n’ôterait pas grand-chose à notre perplexité. La question est plutôt de savoir si le verbe avoir se prête à une constructi­on pronominal­e : peut-on « s’avoir » au téléphone ? se dire pour se consoler qu’on « s’aura » demain ? Les conjugueur­s qui triomphent sur la Toile, forts de leurs algorithme­s, répondent évidemment par l’affirmativ­e, offrant au peuple béat des formes aussi impeccable­ment ciselées que « ils s’eurent » ou « ils s’auraient ». Mais peut-on faire confiance à une machine ?

À l’inverse, et parce qu’il sied tout autant que nous nous méfiions de nos prévention­s humaines, n’est-ce pas d’abord la possible confusion avec les formes du verbe « savoir » qui nous chiffonne ? Voire notre peu d’habitude à conjuguer le verbe avoir avec l’auxiliaire être ? Le contraire, oui : « on a été » a toujours fait partie des meubles ; mais « on s’est eu », cela n’a existé que pour des temps surcomposé­s qui, c’est un signe, sont aux abonnés absents depuis longtemps !

Dans l’absolu, pourtant, et dès lors que l’Académie entérine, à l’entrée avoir, l’acception « se trouver dans telle ou telle situation par rapport à quelqu’un ou à quelque chose », on ne voit pas ce qui s’oppose à l’expression de la réciprocit­é. On peut avoir quelqu’un au téléphone, c’est le Trésor de la langue française qui le confirme. Partant, pourquoi deux personnes ne pourraient-elles « s’avoir » l’une l’autre au bout du fil ?

Nous avons remué ciel et terre (à commencer par Grevisse) sans trouver un traître mot là-dessus. À l’impossible nul n’étant tenu, nous reste le choix de la prudence (ou de la lâcheté ?) : « On s’est parlé au téléphone. » En laissant le participe invariable cette fois, le pronom « s’ » n’étant plus COD. Mais quand on ne trouve rien à se dire ?

PEUT-ON « S’AVOIR » AU TÉLÉPHONE ?

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