ROMAIN GARY OU LA PROMESSE DE NICE
« J’ai gardé, de mon premier contact avec la France, le souvenir d’un porteur à la gare de Nice », écrivit le plus français des auteurs nés en Lituanie. Dans quelques-uns de ses romans, la ville côtière apparaît parfumée, bigarrée et providentielle.
Qui a observé « Nissa la bella » ne peut que retrouver son essence cosmopolite dans l’écriture de Romain Gary. En 1928, l’adolescent juif russe aux yeux bleu vif quitte la Pologne pour Nice, avec son impétueuse mère, Mina. Pendant l’entre-deux-guerres, nombreux sont les Russes ayant fui l’URSS pour la ville aux toits rouges. Dans son roman autobiographique
La Promesse de l’aube (1960), on y croise aussi des Italiens, des Polonais, des « Suédoises
intelligentes et cultivées » sur le « rivage béni » de la Méditerranée qui aimante l’oeil de l’écrivain. Dans une interview de 19731, Gary confirme : « Autant que je peux me sentir chez moi en tant que citoyen du monde, je suis niçois. » Un temps, Mina tente de vendre des bijoux à l’hôtel Negresco. Avec l’insistance d’un affamé, Gary dépeint le contraste entre sa condition préoccupante et une opulence aristocratique en déclin, après la crise de 1929. Paul Pavlowitch, son cousin qui endossa le rôle d’Émile Ajar, parle d’une « survivance kitsch bourrée de déchets et de joyaux ». Ne pouvant offrir à son fils des leçons de tennis, Mina se fait aider par un roi suédois attablé au salon de thé du club. Devenue gérante de l’hôtel-pension Mermonts, elle se voit promettre monts et merveilles par un riche peintre polonais. Au bout de la rue Dante, le marché de la Buffa est un « lieu d’accents, d’odeurs et
de couleurs » qui, comme le carnaval de Nice, imprègnent au moins trois autres romans.
UNE DESTINATION IDÉALE
La Méditerranée, « dans un équilibre
parfait » avec le soleil, exerce une force d’attraction remarquable dans l’incipit des Clowns lyriques (1979), roman existentialiste au parfum de mimosa. Un imprésario cocufié par sa femme actrice regarde la mer à travers la baie vitrée du Negresco. Pour l’amant, c’est un heureux coup du sort dans le grand tournis du carnaval. Au milieu des « masques
grimaçants », il espérait une rencontre amoureuse qui se réalise. Un autre retournement de ce type se déroule dans L’Angoisse du roi Salomon
(1979) : Cora rêve de renouer avec un amour perdu. Sa destination idéale pour « tout recommencer » est Nice. Voeu exaucé ! Enfin, la ville du carnaval donne de grands espoirs à Momo, l’enfant de La Vie devant
soi (1975) adopté par une vieille prostituée juive de Belleville. Un ancien vendeur de tapis lui parle de « géants joyeux qui sont assis sur les chars », de « forêts de
mimosas ». N’y ayant jamais mis les pieds, le garçon s’y sent pourtant chez lui. C’est dire si cette « oasis au bord de la mer » est une sainte promesse dans l’imaginaire de l’écrivain.
1. Relevée par Carine Marret dans son essai Romain Gary. Promenade à Nice (Baie des Anges).