DES MOTS BIEN DE CHEZ EUX
Voici quelques exemples de provençalismes fréquents, mal identifiables ou mal compris dans la littérature francophone de Provence1.
BRAVE : Mot d’usage fréquent, il n’a ni le sens péjoratif (gentil mais un peu bête) ni le sens « courageux » du français standard. En Provence, dire de quelqu’un qu’il est brave n’est pas péjoratif. C’est un augmentatif mélioratif qui signifie : 1. Gentil, bon. « Que de monde ! C’est brave d’être toutes ensemble » (Giono,
Colline) ; 2. En grande quantité. « Elle avait une brave peur » (Giono, Regain), « un brave tintouin » (Pagnol, César). On rencontre aussi ses diminutifs : « elle est toute bravette » (Pagnol, Marius). Il s’agit du calque des mots « brave » (m.)
« bravo », « braveto » (f.) et de leurs sens en provençal.
ESPÉRER : Forme francisée du provençal espera qui signifie « attendre » et pas « espérer » : « Marguerite, on espère ! […] Quelqu’un espérait » (Magnan, La Naine). Un nom en est dérivé, qui signifie l’« attente » : « On parle à voix basse comme à l’espère du lièvre » (Giono, Colline). PAUVRE : Lorsqu’il précède la mention d’une personne, ce mot signifie qu’elle est décédée. « Nous venons veiller le corps du pauvre Albert » (Giono, Les Âmes fortes), « Mon pauvre frisé » (Pagnol, Marius), « Ce pauvre bossu » (Pagnol, Manon des sources). Le mot ne dit rien de la situation économique de la personne.
PEUCHÈRE : Cette interjection est devenue un véritable stéréotype du français de Provence et, spécialement, de Marseille. Il arrive que, quand une personne « du Nord » (mot qui désigne tout ce qui est au nord au-delà de la Provence) entend du français de Provence (accent, mot), elle réponde par une moquerie en disant « ha ! Peuchère ! » en riant comme si ce mot était comique. En fait, c’est une exclamation qui exprime la compassion, la pitié, c’est-à-dire une forme de tristesse solidaire de la situation difficile que vit autrui. Le mot est une forme francisée du provençal
pechaire (prononcé « pétchaïré » avec tonique sur le a), équivalent plus expressif du provençal pecaire, qui signifie à l’origine « pécheur, pécheresse ». Son usage est fréquent par exemple chez Pagnol.
1. Il faut être attentif au fait que, comme pour toute langue, des mots changent de sens en français de Provence. Ainsi une « cagole » désignait encore chez Pagnol (dans Fanny) de façon très péjorative une prostituée (le mot est formé sur le radical caga qui évoque les excréments). Depuis quelques décennies, son sens péjoratif a été un peu atténué et il désigne aujourd’hui une jeune femme aguichante, sexy, un peu vulgaire, mais pas prostituée.