BONHEUR OBLIGATOIRE
Depuis le début des années 2000, la littérature d’imaginaire est envahie par les dystopies, ces sociétés futuristes coercitives et technologiques dans lesquelles un rebelle tâche de s’ouvrir une voie vers la liberté individuelle, ou, soyons fous, l’émancipation générale. Dans ce pullulement de dictatures virtuelles, le lecteur a du mal à faire la part. Alors, saluons le réussi Sauter des
gratte-ciel dont l’auteure helvète Julia von Lucadou, comme en leur temps Orwell et Bradbury, a compris que le cauchemar social le plus inventif ne vaut que si l’on dispose de beaux personnages à y plonger.
Sauter des gratte-ciel en contient deux : Riva, une athlète, qui, jusqu’à il y a peu, s’adonnait à un sport consistant à se jeter du haut des bâtiments pour la joie des foules, mais qui connaît une période de doute. Et Hitomi, une psychologue chargée d’influer sur elle à distance pour lui rendre le goût des acrobaties. Autour, la société se dévoile : un monde où l’on grandit loin de ses
« bio-parents », dans des « périphéries » crasseuses dont on peut sortir si l’on réussit un « casting » – l’égalitarisme est à ce prix. Cette société révère aussi la transparence : tout est filmé et commenté en direct. On y promeut la paix des âmes: pour garder votre emploi, il vous faudra méditer, et augmenter votre « score de Mindfulness ».
Soyez heureux et en bonne santé, et si vous n’y parvenez pas, vous trouverez votre bonheur dans l’euthanasie ! Faut-il préciser que ce livre futuriste – un premier roman ! – semble parfois très actuel ?