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Les enfants du silence

Révélation des lettres germanique­s, l’écrivain autrichien livre une impression­nante fresque aux relents bibliques, explorant la seconde moitié du xxe siècle de son pays.

- Baptiste Liger

Écrire, c’est parfois prendre la parole pour ceux qui souffrent de mutisme. Ou ceux qu’on n’écoute pas. Ainsi, pour une raison ou une autre, nombreux sont les personnage­s de taiseux dans le quatrième roman (mais premier traduit en France) de Reinhard Kaiser-Mühlecker, Lilas rouge. Une admirable fresque de 700 pages qui a valu à cet auteur autrichien, aujourd’hui âgé de 39 ans, d’être considéré comme l’une des plumes majeures de la littératur­e germanique contempora­ine. À juste titre.

C’était un temps, pas si éloigné, où il n’y avait pas d’Autriche, au sens strict, mais « un seul grand empire, l’empire de tous les Allemands ». C’est pourtant dans un coin reculé de cette région – baptisé Rosental – qu’arrive, sur sa carriole, Ferdinand Goldberger, accompagné de sa fille, Martha. « Rouage important de l’appareil administra­tif » qui porte encore son uniforme, celui qui n’est autre que le chef de section du parti nazi a dû trouver refuge, pour d’obscures raisons, dans une ferme abandonnée, loin de son village d’origine. Cette arrivée ne passe bien sûr pas inaperçue à Rosental, à l’image de la réaction inaugurale du rejeton simplet de l’aubergiste. Là-bas, même s’il n’a pas forcément l’aval de la population, Goldberger va relancer le domaine. Jusqu’à ce que son fils, garçon ambitieux sortant des geôles, ne vienne reprendre l’entreprise en la modernisan­t. Mais si certaines choses changent, les génération­s vont se ressembler, se dupliquer, se répéter – un peu comme les saisons ou le lilas… Les années vont alors passer, certaines malédictio­ns (ou personnage­s) se déclarer, les vérités vont (pour certaines) éclater.

Au-delà de la stricte ambition romanesque du projet, Lilas rouge impression­ne par la beauté sèche de la peinture de cette terre et de ceux qui l’habitent, et par la maîtrise de l’écriture, élégante sans jamais tomber dans la démonstrat­ion stylistiqu­e. Là où nombre d’écrivains appuient la parabole politique trop explicite, Reinhard Kaiser-Mühlecker choisit de jouer avec les silences, les ellipses pour mieux faire surgir la vérité de ses protagonis­tes. Il y a là des élans bibliques qui, loin d’alourdir le propos, ancrent magnifique­ment le livre dans un mouvement universel, celui d’une odyssée humaine aux dernières pages splendides. Bouquet final.

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 ??  ?? LILAS ROUGE (ROTER FLIEDER) REINHARD KAISERMÜHL­ECKER TRADUIT DE L’ALLEMAND (AUTRICHE) PAR OLIVIER LE LAY, 704 P., VERDIER/ DER DOPPELGÄNG­ER, 30,50 €
LILAS ROUGE (ROTER FLIEDER) REINHARD KAISERMÜHL­ECKER TRADUIT DE L’ALLEMAND (AUTRICHE) PAR OLIVIER LE LAY, 704 P., VERDIER/ DER DOPPELGÄNG­ER, 30,50 €

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