Avis de tempête
Oscillant entre rire et terreur, ce roman de l’écrivain guyanais nous plonge dans une atmosphère glaçante. Pour un inoubliable moment de lecture.
Né en Guyane britannique d’un père suisse-allemand et d’une mère martiniquaise, Edgar Mittelholzer est l’archétype du paria. En 1938, un éditeur anglais s’intéresse à lui. Trois ans après, une bombe teutonne pulvérise l’entrepôt où sont stockés les exemplaires de son premier roman. À l’aube des années 1950, il rencontre Leonard Woolf, l’époux de feue Viriginia, et Secker & Warburg le publie treize fois. Un divorce survient ; la disgrâce. Dépressif, tenté par l’extrême droite, l’ombrageux poissard s’arrose de pétrole dans un champ du Surrey et craque une allumette.
UN SABBAT ÉCHEVELÉ
Ce préambule pour poser l’homme et éclaircir, si la chose est possible, la nature de ce récit formidablement grotesque, encagé dans un village endormi « aux cheminées de brique rouge ». L’histoire est succincte. Un tueur s’est échappé de l’asile de Broadmoor. Le vent gémit, les murs grincent, la terreur imprègne les âmes. Mr. Jarrow, persuadé que sa femme « banale comme un caillou » est décédée depuis des lustres (il ne s’adresse à elle que par des séances de spiritisme), exulte et trépigne. « Ce soir à minuit, nous serons tous égorgés », braille cet amateur de camps d’extermination. Hourra ! Deux maisons plus loin, Mr. Holme, le veuf quinquagénaire, compulse des manuels d’horticulture et lorgne la croupe de sa jeune femme de ménage. Tôt le matin, il trouve sur son seuil le cadavre d’un chat gonflé. Atmosphère…
Le reste est un sabbat échevelé, décliné en trois volets (claquants) – « Le vent », « Le brouillard », « La neige » – qui enchevêtrent, tronçonnent les narrations, et font pleuvoir sur le lecteur esbaudi visions hallucinatoires et admonestations sacrilèges. Où est le vrai, où est le bien, que vaut la justice ? Ces questions dégénèrent en rires éraillés. C’est que Mittelholzer, tel un E.T.A. Hoffmann saisi d’une rage bouillante, ne prend rien au sérieux, pas même l’horreur. Sexe, violence, amoralité – ce lyrique nihilisme n’appartient qu’à lui.