L’ACTUALITÉ
Avec ses intrigues désuètes à la Agatha Christie, son ton léger et son rythme paisible, le « cosy murder » touche un public de plus en plus large, à l’image du succès des séries de l’Écossaise M.C. Beaton.
La bouilloire chauffe pour le thé. Des scones sont disposés dans une assiette. Une pluie fine tombe sur votre gazon fraîchement tondu, un feu crépite dans la cheminée, vous avez sorti un plaid écossais. Vous êtes dans les meilleures dispositions pour ouvrir le dernier volume de votre cosy murder préféré. Un cosy murder ? Mais oui : aussi appelé « cosy mystery » – ou « polar douillet » en français –, cette variété du roman policier fait un tabac, y compris en France. Voyez ces dizaines de milliers de lecteurs qui se passionnent pour les enquêtes signées de feu l’Écossaise M.C. Beaton. Outre la célèbre Agatha Raisin et Hamish Macbeth, on lui doit une autre héroïne malicieuse, Lady Rose (les deux premiers tomes viennent de paraître chez Albin Michel). Autre ambassadrice du genre : la Britannique Julia Chapman et sa série Les Détectives du Yorkshire (Robert Laffont).
Le cosy mystery se reconnaît à des codes bien marqués, toujours les mêmes. Il s’agit d’histoires criminelles inoffensives, sans violence. Les héros sont des détectives amateurs, souvent des femmes, avec des professions honorables – La libraire mène l’enquête de Carolyn G. Hart, Meurtres et Charlotte aux fraises de Joanne Fluke avec son héroïne pâtissière – ou à la retraite, telles les Dames de Marlow de Robert
Thorogood. Les assassins ne sont pas des tueurs en série ni des psychopathes. Les intrigues se déroulent dans des coins tranquilles où tout le monde se connaît, de préférence à la campagne, avec des cottages et des chats qui ronronnent au salon. Les personnages appartiennent à des milieux aisés, aristocratiques (les châtelains d’Honeychurch Hall, chez Hannah Dennison) ou même royaux (Sa Majesté mène l’enquête, de S.J. Bennett). Enfin, l’atmosphère est légère, le ton débonnaire, l’humour omniprésent. Le cosy murder, c’est en somme l’opposé du polar hard-boiled (ou « dur à cuire ») ; on n’y va pas pour affronter les malheurs du monde ou se faire peur, mais pour savourer un divertissement chic et drôle, dans un décor de carton-pâte.
QUAND MAGRITTE JOUE LES HERCULE POIROT
Le cosy murder se réclame d’une ascendance prestigieuse, qui remonte aux grandes dames de l’âge d’or du detective novel, comme Patricia Wentworth, Dorothy L. Sayers ou Agatha Christie, souvent citée comme l’ancêtre iconique du genre, non pas tant pour ses
Poirot que pour le personnage de Miss Marple. En hommage, les auteurs plantent volontiers leurs intrigues dans l’entre-deux-guerres (les aventures des soeurs Mitford, de Jessica Fellowes), et dans des décors « à la Agatha » : Londres, la campagne anglaise (Les Étranges Talents de Flavia de Luce d’Alan Bradley), Oxford et ses collèges (les enquêtes de Trudy Loveday, de Faith Martin), etc. Mais il y a des déclinaisons nationales un peu partout, qui nous font redécouvrir le Paris de la Belle Époque – Les Enquêtes de Victor Legris de Claude Izner – ou le Bruxelles des fifties – où la Belge Nadine Monfils nous promène aujourd’hui avec ses Folles Enquêtes de Magritte et Georgette (Robert Laffont): oui, oui, le peintre et sa chère et tendre vont jouer les fins limiers ! La frontière est poreuse entre le cosy murder et le policier historique, comme le montre la pléthore de romans situés dans l’Angleterre victorienne, façon Anne Perry, ou la joyeuse série Au service secret de Marie-Antoinette de Frédéric Lenormand. Les ennemis des étiquettes strictes diront qu’à ce compte le genre est partout ; ils n’auront pas tort. La télévision n’exploite-t-elle pas depuis longtemps le filon avec ses séries à base de crimes pépères et d’humour léger, de Murder, She Wrote à nos Petits Meurtres d’Agatha Christie ?
Portée par une communauté d’amateurs fervents, la vogue du
cosy mystery est regardée avec condescendance par les amateurs de « vrais » polars, qui n’y voient qu’une littérature de seconde zone. Plusieurs auteurs de polar, comme Christopher Fowler, l’inventeur de la série Bryant & May, repoussent d’ailleurs l’étiquette pour leur compte, comme si elle était infâmante. Pour n’être pas toujours infondés, les reproches faits au cosy mystery manquent néanmoins leur cible. Les amateurs de « cosy » ne sont pas dupes ; ils savent ce qu’ils vont chercher dans leurs séries, et les lisent au premier degré comme au second. Certes, d’un point de vue sociologique, la vogue du cosy dit quelque chose sur notre désir de réassurance face à un monde troublé, qui nous pousse à chercher refuge dans les décors figés et confortables de ces romans un tantinet nostalgiques.
Mais au plan littéraire, pourquoi ne pas admettre que le genre, en dépit de sa modestie, recèle des bijoux, et que le jeu sur les codes qui le caractérise est un art à part entière ?
Tiens, la bouilloire siffle. Vous reprenez une tasse de thé, avant votre prochaine enquête ?
“Le cri d’Amour d’un ls à sa Mère, emportée par la COVID-19 !”