Bibliothérapie
Didier Pleux fait entendre une voix inhabituelle dans le monde de la psychothérapie. Un brin subversive et qui fait un bien fou. Son regard affûté sur les mouvements complexes de notre époque donne lieu aujourd’hui à un nouvel opus – oserais-je dire ? – jouissif. Car de jouissance, il est question. Plutôt que de « jouir sans entraves » comme nous l’a presque imposé l’époque post-soixante-huitarde, repris en fanfare par la société ultralibérale, Comment échapper
à la dictature du cerveau reptilien nous recommande désormais de jouir sans excès. Le psychologue clinicien y pointe les dérives d’une époque qui, au nom du plaisir à tout prix, charrie les pires conduites addictives, l’impatience et la volonté de toute-puissance, la chosification des êtres, l’absence d’empathie…, tout ce qui concourt à nous déshumaniser un peu plus. En cause : notre cerveau reptilien qui ne tolère aucune frustration et pour lequel seul compte l’assouvissement de ses besoins séance tenante.
En refusant les contraintes, le sens de l’effort, tout ce qui est déplaisant, l’être humain se coupe de son… humanité. « Victime de son principe de plaisir, il ne
sait plus penser sa vie », avance Didier Pleux, qui montre en 190 pages comment le diktat de la satisfaction immédiate nous déshumanise progressivement. Résultat : des individus perdus, qui ne savent plus se projeter dans leur vie.
L’analyse est aussi magistrale que passionnante. Elle mène à la proposition de redonner sa puissance à la réflexion, au cortex, à la « force du conscient ». Apprendre à s’empêcher, à réguler nos demandes immédiates, à trouver des compromis avec nos désirs, pour mettre un terme à cette dictature du cerveau reptilien. J’entends déjà certains objecter – alors qu’ils lisent ces lignes sous le chaud soleil de l’été – que la fête à peine commencée est déjà gâchée. C’est méconnaître que le principe de résilience devant les adversités de l’existence plonge ses racines dans l’apprentissage de la frustration. Pas question donc d’éradiquer le plaisir, mais de le réguler. Réapprendre à se penser et à penser le monde dans lequel on vit, réguler nos pulsions, et retrouver la véritable joie de vivre qui ne saurait se concevoir sans consentir à quelques efforts, voilà notre enjeu, désormais presque vital.
Car le constat de Didier Pleux prend par endroits une tournure dramatique : on craint à le lire que nous ne soyons tous en voie de décérébration. La régression de notre humanité semble largement entamée, le conscient serait déjà tombé dans les oubliettes de la pensée, chacun tyrannisant son prochain pour satisfaire son ego. Le seul remède, qui ne fera pas forcément plaisir – mais c’est bien le but de cette lecture – sera de quitter les idées toutes faites, de tempérer ses demandes et ses souhaits, de se penser comme faisant partie du grand tout de l’humanité. Prôner l’« être bien » plutôt que d’acheter tout ce qui permet de « se sentir bien ». Devenir cet être humain faillible et s’aimer quand même, vaste programme d’apprentissage pour lequel l’été ne suffira pas. En se rappelant, pour viatique, l’aphorisme du psychanalyste Donald Winnicott : « L’acceptation de la réalité est une tâche sans fin. »
LE SEUL REMÈDE, QUITTER LES IDÉES TOUTES FAITES