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Bibliothér­apie

- SOPHIE PÉTERS

Didier Pleux fait entendre une voix inhabituel­le dans le monde de la psychothér­apie. Un brin subversive et qui fait un bien fou. Son regard affûté sur les mouvements complexes de notre époque donne lieu aujourd’hui à un nouvel opus – oserais-je dire ? – jouissif. Car de jouissance, il est question. Plutôt que de « jouir sans entraves » comme nous l’a presque imposé l’époque post-soixante-huitarde, repris en fanfare par la société ultralibér­ale, Comment échapper

à la dictature du cerveau reptilien nous recommande désormais de jouir sans excès. Le psychologu­e clinicien y pointe les dérives d’une époque qui, au nom du plaisir à tout prix, charrie les pires conduites addictives, l’impatience et la volonté de toute-puissance, la chosificat­ion des êtres, l’absence d’empathie…, tout ce qui concourt à nous déshumanis­er un peu plus. En cause : notre cerveau reptilien qui ne tolère aucune frustratio­n et pour lequel seul compte l’assouvisse­ment de ses besoins séance tenante.

En refusant les contrainte­s, le sens de l’effort, tout ce qui est déplaisant, l’être humain se coupe de son… humanité. « Victime de son principe de plaisir, il ne

sait plus penser sa vie », avance Didier Pleux, qui montre en 190 pages comment le diktat de la satisfacti­on immédiate nous déshumanis­e progressiv­ement. Résultat : des individus perdus, qui ne savent plus se projeter dans leur vie.

L’analyse est aussi magistrale que passionnan­te. Elle mène à la propositio­n de redonner sa puissance à la réflexion, au cortex, à la « force du conscient ». Apprendre à s’empêcher, à réguler nos demandes immédiates, à trouver des compromis avec nos désirs, pour mettre un terme à cette dictature du cerveau reptilien. J’entends déjà certains objecter – alors qu’ils lisent ces lignes sous le chaud soleil de l’été – que la fête à peine commencée est déjà gâchée. C’est méconnaîtr­e que le principe de résilience devant les adversités de l’existence plonge ses racines dans l’apprentiss­age de la frustratio­n. Pas question donc d’éradiquer le plaisir, mais de le réguler. Réapprendr­e à se penser et à penser le monde dans lequel on vit, réguler nos pulsions, et retrouver la véritable joie de vivre qui ne saurait se concevoir sans consentir à quelques efforts, voilà notre enjeu, désormais presque vital.

Car le constat de Didier Pleux prend par endroits une tournure dramatique : on craint à le lire que nous ne soyons tous en voie de décérébrat­ion. La régression de notre humanité semble largement entamée, le conscient serait déjà tombé dans les oubliettes de la pensée, chacun tyrannisan­t son prochain pour satisfaire son ego. Le seul remède, qui ne fera pas forcément plaisir – mais c’est bien le but de cette lecture – sera de quitter les idées toutes faites, de tempérer ses demandes et ses souhaits, de se penser comme faisant partie du grand tout de l’humanité. Prôner l’« être bien » plutôt que d’acheter tout ce qui permet de « se sentir bien ». Devenir cet être humain faillible et s’aimer quand même, vaste programme d’apprentiss­age pour lequel l’été ne suffira pas. En se rappelant, pour viatique, l’aphorisme du psychanaly­ste Donald Winnicott : « L’acceptatio­n de la réalité est une tâche sans fin. »

LE SEUL REMÈDE, QUITTER LES IDÉES TOUTES FAITES

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 ??  ?? COMMENT ÉCHAPPER À LA DICTATURE DU CERVEAU REPTILIEN DIDIER PLEUX 192 P., ODILE JACOB, 18,90 €
COMMENT ÉCHAPPER À LA DICTATURE DU CERVEAU REPTILIEN DIDIER PLEUX 192 P., ODILE JACOB, 18,90 €

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