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Livres méconnus ou oubliés

- GÉRARD OBERLÉ

MIL CONNAÎT LA GRÈCE COMME PLATON, ROME COMME VITRUVE

arseille, ville grecque exilée, a tenté de se faire passer pour la cité natale d’Homère, prétention à laquelle elle a dû renoncer. À défaut, le berceau phocéen s’est bien rattrapé avec, entre autres, Honoré d’Urfé, le poète baroque Jean de La Ceppède, Edmond Rostand… En janvier 1797 naissait Joseph Méry, talonné par Adolphe Thiers, éclos en avril de la même année. Sur Foutriquet, passons l’éponge pour proclamer les mérites de Méry, un écrivain prodigieux et prolifique, très célèbre au xixe siècle, et dont l’oeuvre est largement méconnue aujourd’hui.

Son éducation fut cléricale. Au séminaire de Marseille, il fut poussé par un vieux prêtre aux études théologiqu­es, mais sera viré de la pieuse bergerie lorsqu’on le surprend à lire Voltaire. Il finira ses études classiques au lycée avant d’étudier le droit à la faculté d’Aix. Un duel avec l’un de ses camarades le force à retourner à Marseille. Il débute dans les lettres avec quelques articles dans les journaux. Avec Alphonse Rabbe, il fonde Le Phocéen, dans lequel il combat avec talent et courage le fanatisme clérical et le despotisme ultramonta­in des ministres de la Restaurati­on. Il tentera de faire fortune à Constantin­ople, mais devra quitter la région après des démêlés avec l’ambassadeu­r de France. Ses opinions bonapartis­tes, ses critiques contre le gouverneme­nt de la Restaurati­on et la guerre acharnée qu’il livrera au roi épicier et à son ministre Casimir-Perier le conduiront en prison. Monté à Paris en 1824, lié avec Victor Hugo, Balzac, Gautier, Armand Carrel, Nerval (avec lequel il écrira deux pièces de théâtre), il croise Auguste Barthélemy, un autre Marseillai­s. Les deux compères lancent des satires signées de leurs deux noms qui feront du bruit. Méry était un sceptique, Barthélemy, un charlatan (qui accepta de l’argent pour ne plus s’attaquer au pouvoir). L’oeuvre romanesque de Méry est copieuse et variée. En 1830, il publie son premier récit Le Bonnet vert, un « roman d’aventures criminelle­s ». On ne parlait pas encore de roman policier. Il en donnera deux autres, L’Assassinat en 1832 puis Salons et Souterrain­s de Paris en 1851. Yves Olivier-Martin verra en Méry « l’auteur le plus fort peut-être de romans d’aventures criminelle­s [...] même s’il néglige l’enquête inductive-déductive, ses matériaux narratifs (Paris, ses crimes, la province, les erreurs judiciaire­s) inspireron­t plus ou moins consciemme­nt les pléiades d’auteurs policiers ». Héva, La Floride, La Guerre du Nizam forment une trilogie de romans exotiques à succès souvent réédités. « Ils resteront comme un des plus curieux monuments de ce qu’a pu entreprend­re et mener à bonne fin la littératur­e contempora­ine, soi-disant d’imaginatio­n pure », écrit

Georges Bell dans Le Moniteur universel du 29 février 1860. Ses nouvelles sont regroupées en quatre volumes parus entre 1840 et 1855 : Les Nuits anglaises, Nuits italiennes, Nuits d’Orient et Nuits parisienne­s. Méry a publié une centaine de livres ainsi qu’une dizaine de livrets pour Rossini, Verdi, Félicien David. Il a guidé Dumas lors de ses « repérages » à Marseille. L’auteur du Comte de MonteCrist­o évoque leur amitié dans Impression­s de voyage et, plus encore, dans Mes Mémoires : « Il a été, il est, et sera toujours probableme­nt un de mes meilleurs amis. [...]. Il connaît la Grèce comme Platon, Rome comme Vitruve, l’Inde comme Hérodote, il parle latin comme Cicéron, italien comme Dante, anglais comme Lord Palmerson [...] il est savant comme Nodier ; il est poète comme nous tous ensemble ; il est paresseux comme Figaro, spirituel comme… Méry, c’est à mon avis une très belle position en littératur­e. »

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