. Bande dessinée
Le duo, nourri de récits historiques, plonge dans les horreurs des purges staliniennes et suit les pas de l’auteur soviétique Isaac Babel au moment où il écrit ses derniers mots…
Une lettre comme une bouteille à la mer. Écrite en 1939, planquée dans le mur d’une cellule soviétique, récupérée par un peintre en 1960, confiée par lui à un membre du Memorial après la chute de l’URSS trente ans plus tard, arrivée à sa destinataire à Washington en… 1995. Cette année-là, Nathalie Babel peut enfin lire ce que lui avait écrit son père, le romancier Isaac Babel, de sa prison. La petite Nathalie, 10 ans, vit avec sa mère à Paris quand son père est victime des purges staliniennes, accusé de trahison, interrogé, torturé, finalement assassiné. Ironie des événements : le papier à lettres, qui devait servir à l’écrivain pour ses aveux (extorqués), lui permet de s’adresser une dernière fois à sa fille au moment où il sait sa mort imminente.
Histoire terrible et magnifique, si l’on peut dire, que Camille de Toledo (finaliste du Goncourt l’an passé pour Thésée, sa vie nouvelle), à la plume, et Alexander Pavlenko, au crayon, racontent dans Le Fantôme d’Odessa. Chacun des deux hommes maîtrise sa partition : Camille de Toledo construit un scénario en plusieurs récits qui se font écho – ici, les jours de Babel passés en prison, ses interrogatoires, là les événements d’Odessa qui sont le terreau du Babel écrivain et qui éclaire les prémices de la révolution bolchevique, plus loin l’histoire de la lettre ; Alexander Pavlenko, lui, alterne noir, blanc et couleurs en des cases enchâssées, aligne un beau trait anguleux, brutal, comme un cri jeté sur le papier, mais sait aussi jouer de l’ampleur des pleines pages. Quand la bande dessinée lutte contre l’oubli.