Lire

. Littératur­e française

- B.L.

Avec Le Bureau des affaires occultes, cet auteur de polars – par ailleurs membre de l’Académie de pharmacie – commence une nouvelle série de thrillers historique­s et scientifiq­ues. Un premier volet haletant, justement salué par le Prix Maison de la presse.

C’était mieux avant. Enfin, pour certains pans de la littératur­e. Ainsi, nombreux sont les nostalgiqu­es du grand feuilleton français populaire du xixe siècle et du début du avec force intrigues généreuses à rebondisse­ments, qui faisaient le plaisir d’innombrabl­es lecteurs. On sourit alors, au début du Bureau des affaires occultes, lorsqu’on tombe sur cette phrase, évidemment à double sens : « Le temps de M. Vidocq et de ses sbires est révolu. » Si les méthodes, bien réelles, du célèbre bagnard devenu chef de la brigade de Sûreté de la préfecture de Paris s’avéraient déontologi­quement contestabl­es, notre homme a marqué l’imaginaire populaire, inspirant bien des écrivains. Du Vautrin de La Comédie humaine au Javert des Misérables en passant par le sieur Lecoq de L’Affaire Lerouge d’Émile Gaboriau – sans oublier le Vidocq imaginé par Arthur Bernède –, on ne compte plus les fins limiers de fiction descendant de ce ténébreux personnage.

« J’avais envie de retrouver cette ambiance de mystère et d’aventures, cette littératur­e de genre, populaire au sens noble du terme, où l’atmosphère des lieux compte énormément », explique Éric Fouassier, auteur de ce roman-feuilleton imparable renouant avec cet esprit sans doute démodé, mais dans le meilleur sens du terme. « Je fais partie d’une génération qui a été biberonnée avec les grands classiques du roman d’aventures : Le Bossu, Les Trois Mousquetai­res, Le Comte de Monte-Cristo, Les Mystères de Paris, les aventures d’Arsène Lupin et, bien sûr, tous les Jules Verne… » Ce n’est donc pas un hasard, évidemment, si le héros de ce thriller « à l’ancienne » porte ce dernier nom de famille.

AFFECTÉ À LA BRIGADE DE SÛRETÉ

Il s’appelle Valentin Verne. Ce jeune Parisien de 23 ans, qui vit du côté de la rue du Cherche-Midi, officie au service des moeurs de la préfecture de police. Mais, un beau jour, les autorités le convoquent : le voilà muté à la brigade de Sûreté. Nous sommes en 1830, peu après la prise du pouvoir par Louis-Philippe, à la suite des événements de juillet, laissant un goût amer – et même plus – aux proches du monarque évincé, Charles X. C’est dans ce contexte, où Paris est toujours sous tension, que l’inspecteur débutant se retrouve, pour un temps, affecté à brigade de Sûreté pour

« J’AVAIS ENVIE DE RETROUVER CETTE LITTÉRATUR­E DE GENRE, OÙ L’ATMOSPHÈRE DES LIEUX COMPTE ÉNORMÉMENT »

éclaircir les causes d’un décès. Celui de Lucien, fils d’un industriel récemment élu député, Charles-Marie Dauvergne. Tous les éléments – autopsie comprise – penchent en faveur de la thèse du suicide, mais Verne a des doutes. D’autant que d’autres trépas, dans des circonstan­ces (plus ou moins) similaires, vont venir s’ajouter. Ce féru de sciences – en premier lieu de pharmacie – va préférer ouvrir ses recherches. Dette de jeu ? Déception amoureuse ? Lien avec une récente conversion à des idéaux politiques ?

C’est ainsi que Valentin va traîner du côté d’un cabaret, Aux faisans couronnés, et de la section du Renouveau jacobin, croisant au passage des personnali­tés comme le mathématic­ien Évariste Galois, le baron Girod de l’Ain, le dramaturge Étienne Arago ou – on y revient – le sieur Vidocq. Les pistes vont se multiplier et le détective va rapidement songer aux méfaits d’un sinistre individu que son père, Hyacinte, décédé quelques années plus tôt, a traqué de manière obstinée : le Vicaire. Qui est cet enfant, Damien – dont on peut lire ici des pages du Journal –, que cette véritable figure du Mal, a longtemps enfermé ? Que se passe-t-il à l’hôtel de Champagnac et à la clinique du Val d’Aulnay ? Aglaé Marceau et Émilie de Mirande ont-elles quelque chose à voir avec cette affaire ? DES INGRÉDIENT­S SAVAMMENT DOSÉS

Voici quelques-unes des questions qui jalonnent le récit du Bureau des affaires occultes, pur plaisir de lecture digne des meilleures séries télé d’aujourd’hui. Pourtant, même si certains lecteurs lui ont fait ce même constat, Éric Fouassier avoue ne pas en regarder beaucoup – « c’est pour moi beaucoup trop chronophag­e ». Même s’il avoue avoir aimé, par exemple, Penny Dreadful, The Frankenste­in Chronicles

et, surtout, un feuilleton des années 1970 un peu oublié, La Brigade des maléfices. « Ce qui m’intéresse surtout, plus que le scénario, c’est l’aspect visuel des décors. Je tiens absolument à ce que le Paris de 1830 soit un véritable personnage de ma nouvelle série romanesque. »

Auteur d’une dizaine de romans et recueils de nouvelles, cet amoureux du polar historique – docteur en droit et en pharmacie ! – a ici trouvé le moyen d’exploiter, avec une indéniable maestria, son savoir scientifiq­ue dans un cadre fictionnel. « Pour moi qui étais plutôt littéraire, les études de pharmacie ont représenté sans doute la façon la moins désagréabl­e de poursuivre des études scientifiq­ues. Leur côté pluridisci­plinaire m’attirait puisqu’on y touchait à la chimie sous toutes ses formes, à la biologie, aux sciences du vivant, à la botanique, au droit même, analyse-t-il. Et puis il y avait la pharmacie galénique, c’est-à-dire la fabricatio­n des médicament­s. C’est là qu’on peut trouver l’analogie avec l’écriture d’un roman : la nécessité de concocter une formule avec des ingrédient­s savamment dosés, de préparer tout son matériel à l’avance, de faire preuve de doigté et de précision… »

La recette fonctionne parfaiteme­nt dans ce roman, riche de documentat­ion d’époque (période de basculemen­t dans bien des sciences) sans que celle-ci n’écrase les péripéties – ce qui ravira entre autres les aficionado­s de Nicolas Le Floch, le héros de Jean-François Parot. Les jurés du Prix Maison de la presse ne s’y sont pas trompés, en décernant leurs lauriers à ce pavé haletant de près de 400 pages. Dont la suite ne devrait d’ailleurs pas tarder, si l’on en croit Éric Fouassier. « La nouvelle enquête de Valentin Verne est en cours d’écriture et les lecteurs pourront donc le retrouver dans de nouvelles aventures, peut-être au printemps prochain. » En attendant, méfiez-vous quand même des miroirs…

 ??  ??
 ??  ?? HHHHI LE BUREAU DES AFFAIRES OCCULTES ÉRIC FOUASSIER 368 P., ALBIN MICHEL, 20,90 €
HHHHI LE BUREAU DES AFFAIRES OCCULTES ÉRIC FOUASSIER 368 P., ALBIN MICHEL, 20,90 €

Newspapers in French

Newspapers from France