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SANS AUTOCENSUR­E

NICOLAS BEDOS

- Propos recueillis par Éric Libiot

C’est l’un des films les plus attendus de l’année : OSS 117. Alerte rouge en Afrique noire, très librement adapté des romans de Jean Bruce. Après Michel Hazanavici­us, c’est Nicolas Bedos qui s’est attelé à cette comédie d’action et d’aventures réussie, mais pas vraiment politiquem­ent correcte… Après le refus de Michel Hazanavici­us de réaliser ce troisième film de la série OSS 177 avec Jean Dujardin, vous avez accepté de le mettre en scène. Peut-on parler d’une commande, pour vous qui écrivez d’habitude vos propres histoires ?

Nicolas Bedos. Oui, c’est assumé comme une commande et je la revendique. Mais c’est surtout un travail collectif : à la base, il y a un scénariste, Jean-François Halin, des producteur­s, les frères Altmayer, et un acteur, Jean Dujardin. Je fais partie d’une équipe. Nous avons retravaill­é le scénario avec Jean-François, mais c’est lui le père des dialogues et de l’intrigue. Il ne s’agissait pas de prendre sa place, juste d’adapter l’histoire à ma mise en scène.

C’est-à-dire ?

N.B. Travailler sur le rythme général, développer le personnage de Pierre Niney, le « concurrent » d’OSS 117, imaginer les transition­s musicales, faire de Zéphyrine, la révolution­naire, un personnage plus complexe et, surtout, changer le profil du dictateur : je le voulais plus cultivé que brutal et qu’il prenne les Africains pour des sous-hommes ; entre lui et OSS, il y a un concours pour savoir qui est le plus raciste des deux. Quant à OSS, j’ai souhaité l’imaginer en séducteur dépassé par les femmes. En résumé, j’ai proposé à Jean-François d’aller au bout de ses propres idées.

Cette contrainte de la commande a-t-elle été stimulante ?

N.B. L’aspect positif de cet exercice de style, c’est que je n’aurais jamais pensé tourner ce type de films avec des scènes de bagarres et de tirs à la kalachniko­v, des explosions, etc. Jamais je ne serais allé en Afrique. J’ai travaillé avec des gens nouveaux : les cascadeurs, les pyrotechni­ciens, les gars des effets spéciaux. Conclusion : c’est exactement le même boulot que pour un autre film. Ce sont juste des réunions supplément­aires. Je ne sais pas si cela va me servir à l’avenir mais tout a été intéressan­t. Je traite une bagarre avec la même passion qu’une scène de jalousie ou de colère. Il y a mille façons de filmer des gens qui se tapent dessus. C’est une affaire de style. Trouver à quel moment il faut un plan large, un gros plan… Je suis honnête : je suis ému lorsque je filme Daniel Auteuil et Fanny Ardant dans un café pour

La Belle Époque, pas vraiment lorsque je mets en scène une bagarre. Mais j’étais totalement mobilisé sur d’autres questions,

notamment celle de la fabricatio­n d’un récit compréhens­ible, lisible, élégant. J’ai fait mes gammes finalement.

Ce qui caractéris­e l’univers de cette saga OSS 177, ce sont les dialogues, les blagues pas vraiment correctes. Comment avez-vous travaillé cet aspect-là ?

N.B. Il n’y a pas eu d’autocensur­e. Tout se discute et cela prend du temps. La seule question à se poser est : cela va-t-il faire rire ou pas ? J’aurais sans doute avancé plus rapidement tout seul, j’en aurais peut-être rajouté, j’aurais poussé le bouchon un peu plus loin. À tort ou à raison. Mais tout le monde a joué le jeu, sinon je n’aurais pas tourné le film. La belle idée de Jean-François, c’est d’avoir imaginé l’hypocrisie pseudoanti­raciste de OSS, qui raconte parfaiteme­nt la bêtise du personnage.

Êtes-vous familier avec la littératur­e de cette époque ? La collection Spéciale Police, les romans de Claude Rank, M. G. Braun et ceux, en l’occurrence, de Jean Bruce, le père de OSS 117 ?

N.B. Pas du tout. Et je n’ai pas voulu spécialeme­nt m’y mettre car je savais que Jean-François avait fait le boulot en revisitant tous ces romans par le prisme de la satire et de l’humour. Mais je ne vous cache pas que j’ai été content lorsque la fille de Jean Bruce m’a dit que son père aurait préféré ce film-là. À cause du parfum d’aventures et du dépaysemen­t. Parce que oui, OSS 117. Alerte rouge en Afrique noire est un film d’aventures quand ceux de Michel Hazanavici­us sont plutôt centrés sur le décalage permanent et la mise en abyme du genre. Moi, j’ai voulu réaliser un film façon années 1980. Ce n’est pas si courant dans le cinéma français actuel. Surtout lorsqu’il y a une dimension transgress­ive avec l’envie de se moquer du racisme, de la misogynie, de l’homophobie. Et je l’affirme pour contrer un discours qui m’énerve : non, se moquer du racisme n’est pas raciste. Je souhaitais également rendre hommage aux grands réalisateu­rs américains de divertisse­ment de mon adolescenc­e : Steven Spielberg avec Indiana Jones ou Robert Zemeckis avec À la poursuite du diamant vert.

Mais on pense aussi à L’Homme de Rio ou au Magnifique de Philippe de Broca…

N.B. Oui, c’est un mélange de ces deux influences. Indiana Jones est d’ailleurs inspiré de L’Homme de Rio avec Belmondo. Cet OSS est européen dans les dialogues et américain dans la façon de filmer. Je crois que Jean [Dujardin] s’est intéressé à moi pour cette raison. Derrière mes airs de dilettante, je suis un grand cinéphile. J’aime les mouvements de caméra, ce qui a d’ailleurs décontenan­cé Jean. Michel Hazanavici­us utilisait les plans fixes ; moi, j’aime les chorégraph­ies. Michel se référait aux films d’espionnage, moi au cinéma hollywoodi­en bling-bling des années 1980.

Vous y avez finalement pris goût…

N.B. Je suis content de montrer qu’on peut réaliser sérieuseme­nt une comédie d’action. C’est très mégalo de ma part, mais je n’ai pas à blêmir par rapport aux Américains. Ce qui me manque, et ce n’est la faute de personne puisque le projet était ainsi, c’est de parler de mon père, de ma mère, de la peur de vieillir, du temps qui passe, tous ces thèmes qui m’habitent. Je ne me sens pas directemen­t concerné par ce qui arrive à Hubert Bonisseur de La Bath, dit OSS 117. Mais ce n’était pas une raison pour faire ce film par-dessus la jambe.

Il est donc possible que vous y reveniez un jour ?

N.B. Pourquoi pas ? Je ne ferme pas la porte. Peut-être que si, dans trois ou quatre ans, Jean-François me propose un scénario hors de mes préoccupat­ions mais qui m’amuse, je pourrais y aller. Car il y a un point commun entre OSS et mes précédents films : le goût pour les décors, les costumes, l’univers artistique et visuel. Imaginer un univers, c’est formidable. Je n’aurais pas accepté une commande qui ne fabrique rien.

Donc, un OSS 117 numéro 4 serait-il en projet ?

N.B. Ça peut se discuter. Il faut juste laisser passer quelques années. Ce travail collectif ne correspond pas à ma nature, mais rien ne me correspond dans ce métier. Je suis un type impulsif, impatient, et je réalise des films qui m’obligent à travailler longtemps sur chacun d’entre eux.

Vous réalisez en ce moment Mascarade. Pouvez-vous en dire quelques mots ?

N.B. C’est une grande fresque sentimenta­le et cruelle sur quatre personnage­s, située sur la Riviera aujourd’hui ; un film entre Match point et Gatsby sur fond d’arnaque. L’histoire de jeunes gens comme j’en ai connu qui cherchent à se faire une place au soleil. C’est un prétexte pour parler de la complexité des sentiments, du vieillisse­ment, de la beauté, du désir. Dans ce thriller, ce sont les femmes qui mènent la danse.

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 ??  ?? Jean Dujardin et Nicolas Bedos sur le tournage du film OSS 117. Alerte rouge en Afrique noire.
Jean Dujardin et Nicolas Bedos sur le tournage du film OSS 117. Alerte rouge en Afrique noire.
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Jean Dujardin dans le rôle d’Hubert Bonisseur de La Bath alias l’agent secret OSS 117.
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AVEC JEAN DUJARDIN, PIERRE NINEY, FATOU N’DIAYE…
EN SALLES LE 4 AOÛT.
OSS 117 . ALERTE ROUGE EN AFRIQUE NOIRE DE NICOLAS BEDOS AVEC JEAN DUJARDIN, PIERRE NINEY, FATOU N’DIAYE… EN SALLES LE 4 AOÛT.

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