COMMENT ÉDITER
MEIN KAMPF ?
Sur la couverture ne figurent ni le nom ni la photo de Hitler. Seul le sous-titre d’Historiciser le mal permet de comprendre que ce livre impressionnant est « Une édition critique de Mein Kampf ». Autre singularité1 : l’ouvrage est absent des têtes de gondole et des vitrines, uniquement disponible sur commande en librairies. Ces précautions – pour ne pas faire de publicité à ce brûlot raciste et antisémite – accompagnent une « aventure éditoriale exceptionnelle et exemplaire » (Serge Klarsfeld) de dix ans, sous la direction des historiens français et allemand Florent Brayard et Andreas Wirsching, et leurs équipes.
L’APPAREIL CRITIQUE, UN GARDE-FOU
En 2011, Olivier Nora, alors président de Fayard, contacte l’Institut für Zeitgeschichte, l’Institut d’histoire contemporaine de Münich, chargé d’une édition scientifique de Mon combat pour 2016, année où le texte tombe dans le domaine public. Mais pourquoi donc le republier ? Parce que cela aurait été « irresponsable » de le laisser circuler sans garde-fou, explique Andreas Wirsching, son directeur. Il s’agissait de « ne pas laisser la parole à Hitler », en « encerclant » cette propagande par un appareil critique. En outre, Mein Kampf est désormais un objet d’Histoire. Jamais avant Hitler « un dirigeant, avant d’arriver au pouvoir, n’a couché par écrit […] ce qu’il ferait par la suite », soulignait, dès les années 1960, l’historien allemand Eberhard Jäckel. C’est « l’exposé le plus clair et le plus ample qu’il eût jamais présenté de ses vues », confirme son collègue anglais Ian Kershaw.
Aujourd’hui, il est très facile de se procurer ce « livre monstrueux » : il suffit d’un clic sur Internet, rappelait Sophie de Closets, lors d’une conférence de presse, fin mai. Cinq mille exemplaires s’en vendent chaque année, « dans une traduction erronée de 1934 » au mieux précédée par un maigre avertissement de quelques pages : « une situation pas acceptable », aux yeux de l’actuelle présidente des éditions Fayard. La solution ? « Une édition scientifique de référence. »
UNE VERSION PLUS AUTHENTIQUE
L’édition française est à la fois une adaptation et un prolongement de l’édition allemande. Elle comporte une nouvelle traduction de Mein Kampf ; la rédaction de vingt-sept introductions – destinées aux lecteurs français – inaugurant chaque chapitre et l’adaptation d’un appareil critique de 2 800 notes « remontent aux sources du texte, retracent les concepts idéologiques, relèvent les erreurs, les distorsions, restituent les contextes oubliés », comme le souligne Florent Brayard.
Mais pourquoi donc fallait-il retraduire ce texte écoulé à 12,5 millions d’exemplaires jusqu’en 1945 ? La traduction en vigueur correspondait à une époque où les traducteurs se faisaient un devoir d’« écrire en bon français », explique Olivier Mannoni, le nouveau traducteur. Or, la caractéristique de Mein Kampf est précisément son « illisibilité », sa « syntaxe douteuse », ses « phrases interminables et répétitives », son « écriture circulaire ». Sans doute pénible à lire, la nouvelle version est plus authentique. Durant l’exercice, Olivier Mannoni avoue s’être senti à contre-emploi : dans la posture du chirurgien qui devrait « rendre un patient dans l’état où il l’a accueilli ».
1. Les droits de chaque exemplaire vendu seront reversés à la Fondation Auschwitz-Birkenau, qui assure le financement des travaux de conservation des vestiges du camp. En outre, l’éditeur offrira un volume à toute bibliothèque qui en fera la demande.