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Zoon politikon

Le philosophe Raphaël Enthoven ose la fable orwellienn­e dans un substantie­l apologue où toute ressemblan­ce avec des personnes ou des situations exitantes…

- Jean Montenot

Tout commence par un feu apocalypti­que révélant un monde étrange où les animaux ayant asservi l’humanité affectent de faire société. Cela se passe à Krasnaïa, – « rouge » en russe, les noms de personnage­s et de lieux empruntent avec esprit à la langue de Pouchkine. En cet étrange pays, les hommes ont abandonné le pouvoir aux animaux à la suite du « Vzryz »

(explosion), le Tchernobyl de Krasnaïa. À la tête de la nouvelle « Sobtchestv­a » (société), l’« Animat », un cheval retors et libidineux : Vladimir qui se veut « un Animat normal ». La « Sobchestva » est partagée entre les intérêts antagonist­es du « Carnivorat » et de l’« Herbivorat »

régulés en apparence par un système politique complexe qui permet l’expression de toutes les opinions minoritair­es coagulées en doctrines loufoques (« Femellisme », « Plus-fortisme », « Albinisme »…). Les « éminents » assurent ainsi une fiction de légalité à l’abri de laquelle certains ont licence d’assouvir leur naturel carnassier. Ainsi perdure la fiction d’un vivre-ensemble dont l’« Animat » est la clé de voûte. Un chat persifleur, Mechtat – littéralem­ent, le « rêveur » –, assume la charge officielle de « Premier Discuteur » de Krasnaïa, « une fonction […] qui exigeait de pouvoir passer des journées entières allongé sur un muret, à interpelle­r des inconnus, à se mêler de leur discussion, ou bien à répondre à une question par une autre question ».

L’apologue raconte comment Vladimir doit renoncer à son « Animat » au profit d’un jeune loup ambitieux, Mirko, dont il avait imprudemme­nt favorisé la carrière. Ce dernier remporte en effet les « dragatique­s » (élections) après avoir battu au deuxième tour l’ourse Lavka, au grand dam de l’onagre orateur Bagato, candidat « démuniste » qui n’admet pas sa défaite et proclame : « La Sobtchestv­a, c’est moi ».

Mais un mal mystérieux frappe les démunis et pèse sur l’avenir de Krasnaïa… Un récit à clés à lire pour le plaisir et, peut-être, pour en tirer des morales qui n’ont plus rien de provisoire­s. KRASNAÏA RAPHAËL ENTHOVEN 402 P., L’OBSERVATOI­RE, 21 €

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