Tous les Martin du monde
Porter un tel nom de famille n’a rien d’original. Consacrer un pavé à tous ceux dénommés de la sorte, si. Une aventure littéraire folle et passionnante.
Disons-le d’emblée. L’entreprise de Jean-Pierre Martin a de quoi susciter l’étonnement, si ce n’est l’inquiétude. Certes, on connaît le talent de l’auteur du Livre des hontes, de Queneau losophe et de Mes fous. Mais, franchement, un livre sur les Martin ? Est-ce à dire qu’un patronyme suffit à former un groupe ? L’écrivain désamorce nos craintes dans le prologue si fin, si drôle, du Monde des Martin.
Avec humour et érudition, Jean-Pierre Martin tisse les vies de cette famille imaginaire, dispersée sur tous les continents. Une généalogie qui commence au ive siècle avec saint Martin, le soldat généreux qui a partagé son manteau en deux pour réchauffer un mendiant, et même avant lui avec sainte Martine au iiie siècle, durement torturée par les Romains. Plus tard, les Martin ont accompagné les grandes découvertes en Amérique, en Afrique et jusqu’aux Indes orientales. Ils et elles ont été des aventuriers, des inquisiteurs, des moines, des petits filous aussi, ou une écrivaine méconnue. Lentement, se dégage quelque chose comme « la martinitude » – l’appel du large. Plutôt que l’unité, c’est la grande variété des profils qui ravit. Au xixe siècle, un John Martin, né esclave à la Barbade, a vécu en Amérique, puis libre à Londres, avant d’être arrêté pour vol et expédié en Australie, où il mourut policier à la retraite et propriétaire terrien, « enterré comme un colon ».
On devine chez l’auteur une envie de pousser jusqu’à l’absurde le débat actuel sur l’identité. Cette chose qui, au final, ne se définit assurément que par ce qu’affiche notre carte d’identité : un lieu et une date de naissance, un prénom et un nom. Pour le reste, rien n’est sûr. Alors, autant s’en tenir au tangible. Son ouvrage se termine avec Trayvon Martin, l’adolescent noir américain tué en 2012 par un « capitaine auto-proclamé » qui surveillait sa résidence en Floride. « Cette dernière vie de Martin, fauchée un soir à Sanford, la plus brève de nos quarante et une histoires de Martin, dit le caractère irremplaçable d’une existence, son caractère violent et fugace, la violence de sa fin », affirme Jean Pierre-Martin. Et son livre hors norme le saisit avec une grande clarté.