DIOGÈNE, UN « SOCRATE DEVENU FOU » ?
Un cynique passe aujourd’hui pour être un sans scrupule. Il se moque de tout et de tous, sauf peut-être de lui-même. Le cynique de l’Antiquité, tel du moins que le florilège de témoignages divers plus ou moins authentiques en a tracé le portrait, est au contraire un homme à principes. Philosophe au sens ancien du terme, il entendait témoigner des vertus de sa sagesse par l’exemple de la vie qu’il mène. Sorte de clochard philosophe, si le cynique se lave peu et se joue de toutes les conventions sociales, c’est qu’il entend « vivre conformément à la nature ». Les cyniques devaient leur nom au lieu où les disciples d’Antisthène, le fondateur supposé de l’école, se réunissaient : le gymnase de la place de Cynosarges (le « chien agile »). Pour les injurier, leurs adversaires les traitèrent de « chiens ». Puis, ils revendiquèrent pour eux-mêmes cette désignation. Indifférents à toute forme de pudeur, les cyniques avaient tendance à « aboyer » devant le spectacle des préjugés et des habitudes des gens ordinaires. Le plus célèbre d’entre eux (fut-il jamais l’élève d’Antisthène ?) fut Diogène de Sinope, qui vécut en bordure de l’Agora dans son « pithos » – le fameux « tonneau » était à vrai dire une grande jarre de terre cuite – avec sa besace, car il n’avait pas d’esclave pour porter son sac, son vieux manteau troué et son bâton. « Socrate devenu fou ! » aurait dit de lui Platon si l’on se fie à Diogène Laërce, la « concierge de l’antiquité » (Vies et doctrines des philosophes illustres, VI, 54). Adepte du franc-parler, on rapporte aussi qu’il se masturbait en public, non vraiment par exhibitionnisme, mais parce que cela lui semblait naturel. Il ne révérait aucun pouvoir, disant à Alexandre le Grand venu le voir : « Ôtetoi de mon soleil. » Chassé de Sinope, Diogène aurait lancé : « Vous m’avez condamné à l’exil et moi je vous ai condamné à rester 1. » En tout cas, on doit à ce provocateur par excellence l’invention du terme de « cosmopolite » et la première incarnation du cosmopolitisme.
1. Lettres de Diogène et Cratès, (trad. D. Deleule et G. Rombi), Babel 1998.