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DESPENTES, RATTRAPÉE PAR L’ÉPOQUE ?

- Alexis Brocas

Souvenez-vous, c’était en 1994. Une inconnue, venue non pas de nulle part mais de la contre-culture punk et de la banlieue lyonnaise, publiait Baise-moi aux éditions Florian Massot : l’errance de deux filles ayant rompu avec la société, semée de violences parfois gratuites et de moments charnels et crus. Résultat : un beau succès de scandale, amplifié par l’adaptation filmée et ses scènes de sexe non simulées… Pour tous ceux qui ne l’avaient pas lue, et n’avaient pas perçu la musique originale de son écriture, l’affaire était entendue : Virginie Despentes était une pure provocatri­ce, vouée à retourner dans l’oubli sitôt les échos de sa bombinette littéraire retombés. Onze ans plus tard, devenue une autrice installée et une essayiste commentée, Virginie Despentes publie le premier tome de sa trilogie Vernon Subutex. L’histoire d’un ex-punk et ex-disquaire devenu SDF, qui agrège autour de lui tous ceux qu’il croise, dans une France plutôt malheureus­e, où chacun souffre à sa façon. Résultat : un triomphe public et critique, sans l’ombre d’un scandale. Virginie Despentes se serait-elle assagie ? C’est plutôt l’époque qui s’est despentisé­e. Certes, Vernon Subutex est un roman plus doux que Baise-moi : on y parle de rassembler plutôt que de massacrer. Mais on y retrouve les idées que Despentes a toujours défendues : refus d’englober toutes les travailleu­ses du sexe dans le mot « victime », représenta­tions positives de la transsexua­lité, refus des représenta­tions traditionn­elles du féminin, refus du contrat social proposé aux femmes quand il se confond avec le contrat de mariage. Or, ces idées, jugées provocatri­ces lorsque Despentes a commencé à écrire, figurent aujourd’hui sur les bannières du progressis­me mondial ! Quant à Despentes, comme le montre sa tribune intitulée « Désormais on se lève et on se barre » (publiée à l’occasion des César 2020 et de la récompense donnée à Polanski, sous le coup de multiples accusation­s de viol), elle sait toujours provoquer quand elle le veut bien. Mais elle a aujourd’hui des foules derrière elle.

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