RACHILDE LA DÉRANGEANTE
Fille de militaire, élevée comme un garçon manqué, cérébrale, Marguerite Eymery (1860-1953) n’avait pas froid aux yeux. Elle fit une entrée fracassante dans le monde des lettres en publiant, sous le pseudonyme « insexué » de Rachilde, un roman scabreux et scandaleux : Monsieur Vénus (1884). L’histoire de Raoule de Vénérande valut à Rachilde son renom et le surnom de « Mademoiselle Baudelaire ». Figure du symbolisme et du décadentisme, Rachilde portait le costume masculin dans la rue après en avoir obtenu, fait rarissime, l’autorisation de la préfecture de Police (c’était en outre un expédient efficace pour éloigner les importuns). Romancière et critique, elle ressuscita le Mercure de France avec Barrès, Lorrain et son mari Valette, la revue qui anima avant la N.R.F. le monde des lettres de la Belle Époque. Elle devrait être une icône du féminisme français. Las ! elle ne coche pas toutes les cases. Elle continua de déranger à des âges où d’ordinaire l’on se range, évoquant librement dans ses romans, outre l’homosexualité, la nécrophilie ou la zoophilie. Puis, cette libertaire était aussi patriote. L’amie de Barrès penche du côté des antidreyfusards. Enfin, pouvait-on pardonner à cette « révoltée moderne » qui a tant fait pour libérer les femmes (et les hommes) son Pourquoi je ne suis pas féministe (1928). On y lit une clé de son caractère : « Je n’ai jamais eu confiance dans les femmes, l’éternel féminin m’ayant trompé d’abord sous le masque maternel, et je n’ai pas plus confiance en moi. J’ai toujours regretté de ne pas être un homme, [...] parce qu’obligée [...] de porter seule tout le lourd fardeau de la vie pendant ma jeunesse, il eût été préférable d’en avoir au moins les privilèges, sinon les apparences. » La vérité est toujours un tiroir à multiple fonds.