Humains après tout
L’autrice américaine dépeint un monde dominé par la technologie dans un roman au ton corrosif et subtilement satirique.
Pas simple, l’amour au temps du silicium ! Quand, il y a dix ans, l’ingénue Hazel a épousé le très puissant Byron, cerveau et P.-D.G. de la firme technologique Gogol (toute ressemblance avec…), elle se doutait bien qu’il ne serait pas uniquement question sentiments. Mais comment aurait-elle pu imaginer ça ? Sans lui demander son avis, le petit génie milliardaire lui a implanté une puce permettant, via des téléchargements réguliers, d’accéder à l’intégralité de ses pensées. « Ta vie, c’est tout pour moi. » Évidemment, la fusion est à sens unique. Horrifiée, Hazel part trouver refuge chez son vieux paternel, lequel s’apprête à adoucir son veuvage avec une poupée sexuelle mécanisée qui, apparemment, lui donne entière satisfaction. « Il faut prendre le bonheur partout où il se présente. » Eh oui ! La cohabitation s’annonce compliquée.
Hazel est recherchée, et son père ne lui a pas tout raconté.
En parallèle, une seconde intrigue se déploie : l’histoire de Jasper, un arnaqueur à la petite semaine qui profite des largesses de cougars naïves. Problème : notre gigolo, depuis un improbable accident, n’éprouve plus le moindre désir pour la gent féminine. Son truc, désormais, ce sont les dauphins – si, si ! Il tente de se rassurer. « [Ce] nouveau fantasme ridicule pourrait sans doute être instantanément résolu en faisant l’amour avec une femme. » Sauf que non. Comment en finir avec cette obsession ? Hazel et Jasper cherchent tous deux à se défaire de quelque chose, quitte à payer le prix fort. Ils ne se trouveront – c’est presque accessoire – que dans la dernière partie du roman. Avant cela, Alissa Nutting aura régalé son lecteur d’un récit corrosif et furieusement inventif. Made for love, de la science-fiction, vraiment ? Mécanisation cynique des rencontres, marchandisation effrénée des données, exploitation irraisonnée des affects, la satire marche à plein. HBO ne s’y est pas trompée qui, au printemps dernier, a lancé une série aussi dérangeante (ouf !) que son modèle de papier.