MARQUE-PAGE
MÂLE DE PIERRES
On ne sait jamais vraiment qui l’on est. Ce n’est pas la moindre qualité de l’étrange récit de Manuel Carcassonne – directeur des éditions Stock et ancien contributeur du Magazine littéraire – que de nous le rappeler. Avec Le Retournement, celui qui avait été jusqu’alors « le marchand
de courage des autres » (comprenez « éditeur ») n’a pas forcément choisi la facilité pour ses débuts en tant qu’auteur. Tout part d’un soir de décembre 2013, lorsqu’il fit une « vraie-fausse tentative de
suicide » l’amenant à Cochin, au service de psychiatrie. Alors qu’il est cloué sur son lit d’hôpital, celui qui s’est toujours demandé ce que signifiait qu’être juif s’interroge soudain : « Est-ce que j’ai des origines ? Si oui, lesquelles ? »
S’ensuit alors l’odyssée généalogique et psychanalytique de ce « gosse de riches », ayant grandi à Paris, dont le nom de famille fait écho à une ville du sud de la France et qui compte peut-être, parmi ses aïeux, un certain Michel de Nostradame (dit Nostradamus). Les fantômes, la mort et les pierres (celles du cimetière, celles dites « précieuses » que vendait son père, aussi) hantent de manière obsessionnelle les pages, au style sec et élégant, du
Retournement, qui nous mène jusqu’au Liban. Symbole d’éclatement et de cosmopolitisme, le pays d’origine de sa dernière épouse sonne ici comme une projection de la forme du livre et de la complexité de Carcassonne, grand admirateur de Witold Gombrowicz. Qui se considère comme « un accident collatéral, en voie d’assimilation ». Et qui constate, comme tout un
chacun : « Je sais d’où je viens, mais je ne sais pas où je vais. »
★★★☆☆ LE RETOURNEMENT MANUEL CARCASSONNE 304 P., GRASSET, 20,90 €