Mères d’indépendance
L’une est une observatrice insatiable, l’autre une essayiste singulière. Leurs livres nous imprègnent de leurs pensées salutaires et libératrices.
Dans Les Argonautes, Maggie Nelson soulignait le pouvoir vivifiant de la sensation de « se sentir réel ». Aujourd’hui, l’autrice américaine nous invite à penser la liberté. Dans son nouvel ouvrage, inclassable, elle s’intéresse « aux complexités que soulève un urgent désir de liberté dans quatre domaines distincts – le sexe, l’art, les drogues et le climat ». Attentive aux débats actuels, elle décortique les idées réifiées quant à la fonction de l’art, et observe « les nuances dans la zone grise des relations sexuelles ». S’interroger sur nos désirs élèverait nos libertés, dont les possibles sont bien plus vastes qu’on ne le croit. Quelles formes d’abandon galvanisent et lesquelles entravent ? S’appuyant sur l’écriture littéraire des drogues, Nelson questionne les manières étriquées dont on en perçoit les usages. Dans le contexte du changement climatique, comment dépasser les différences d’opinions ? Il ne s’agit plus, face à « l’irréversibilité de l’extinction humaine », de chercher à avoir raison… Se méfiant des injonctions, des rhétoriques tranchées, des dichotomies, De la liberté s’attarde sur les ambivalences, les paradoxes, les noeuds. Maggie Nelson nuance ; cela est salutaire et passionnant.
LE MONDE LUI APPARTIENT
Comment Joan Didion pratiquait-elle la liberté ? Sans doute l’écriture y avait-elle bonne part. L’autrice, qui nous a quittés le 23 décembre dernier, avait le don de nous intéresser à tout sujet. Elle avait une nouvelle fois réuni en recueil, dans Pour tout vous dire, une dizaine de ses chroniques journalistiques, écrites entre 1968 et 2000. Dans son style incisif et sans complaisance, Joan Didion partage les souvenirs de ses débuts de journaliste à Vogue, ses considérations sur la création à travers la figure posthume d’Hemingway et les portraits de Mapplethorpe et Tony Richardson, ou encore le résultat savoureux de sa présence à des réunions de Joueurs Anonymes ou d’anciens combattants. Plus que tout, c’est l’expression de son attachement, en tant que romancière, à l’expérience, au « tangible » et aux « images mentales », qui saisit. En 1978, elle écrivait : « J’allais à Honolulu parce que je voulais voir la vie s’élargir aux dimensions d’un roman […]. Je voulais non pas une fenêtre sur le monde mais le monde entier. » Savoir ce que l’on veut, c’est déjà essayer d’être libre.
★★★★★ DE LA LIBERTÉ (ON FREEDOM) MAGGIE NELSON TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR VIOLAINE HUISMAN, 368 P., SOUS-SOL, 22,50 € ★★★☆☆ POUR TOUT VOUS DIRE (LET ME TELL YOU WHAT I MEAN) JOAN DIDION TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR PIERRE DEMARTY, 160 P., GRASSET, 15 €