Mécanique d’un classique
Comment un écrivain construit-il un chef-d’oeuvre qui passe les siècles ? Un essai décortique vingt-trois titres mythiques, de Rabelais à de Gaulle.
Qui n’a jamais rêvé d’écrire un chef-d’oeuvre ? Voltaire, Stendhal, Dumas, Flaubert, Verne, Proust et quelques autres analysés dans cet opus l’ont fait. Comment ? Que se passe-t-il dans la tête de l’écrivain ? Quelle magie opère à la table de travail ? Pourquoi l’agencement de simples mots connus de tous devient-il soudain une symphonie ? Le directeur de la rédaction du Point, Sébastien Le Fol, s’est souvent posé ces questions en se rendant chez les « gendelettres » dans l’espoir de percer leurs secrets à jour. Il a ainsi compris que la littérature est plus qu’un art. Le Fol fait-il malicieusement de la politique quand il écrit « j’appartiens à l’une des dernières générations pour laquelle la littérature représente encore un pouvoir spirituel laïque ».
Mathieu Bock-Côté, François-Guillaume Lorrain, Laetitia Strauch-Bonart, Josyane Savigneau, Jean-François Kahn et les autres contributeurs dissèquent les oeuvres analysées dans cet ouvrage et manient à cet effet la plume comme un scalpel. Le lecteur sera-t-il troublé de constater que le chef-d’oeuvre prend toujours sa source dans des thèmes intemporels tels que l’adultère ou la vengeance ? Dans le chapitre consacré à La Peste de Camus, Marylin Maeso évoque la ville d’Oran en quarantaine. Bien sûr, relire La Peste après les confinements fait vibrer nos cordes sensibles d’animaux en cage. Mais il ne faut pas oublier que les auteurs ne parlent jamais que d’eux-mêmes. Les journées rendues répétitives par la quarantaine mettent le travail de l’écrivain en abyme. Écrire, c’est recommencer et recommencer encore. C’est la solitude laiteuse de la page absorbant l’encre plus noire que les nuits silencieuses. C’est reconstruire sans fin sa phrase comme Sisyphe pousse sempiternellement sa pierre… jusqu’à la délivrance. L’écrivain accouche à l’imprimerie. Au terme de la lecture, on comprend qu’écrire est un sacerdoce et l’on se sent un peu plus humble. Nous ne bâtirons pas tous des sagas immortelles, à l’instar de Balzac, mais le plaisir de lire un chefd’oeuvre demeure inaltérable.