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L’amicale des lettres

Dans son nouveau livre, le cofondateu­r de Lire se penche sur un problème vieux comme Montaigne et La Boétie : l’amitié. Si vous ne voulez pas finir seul, lisez Bernard Pivot.

- Louis-Henri de La Rochefouca­uld

Marcel Proust savait parler à ses proches. Ainsi dans cette lettre à Antoine Bibesco : « Il y a longtemps que nous devrions être brouillés. Vous avez dépassé infiniment le temps maximum que j’octroie à mes amitiés. Brouillons-nous vite. » S’il peut être amusant de se fâcher avec un vieux camarade qui a fait son temps, Bernard Pivot a toujours préféré les amitiés durables et les réconcilia­tions. Dans Amis, chers amis, essai enlevé qu’il consacre à cet art difficile, il raconte par exemple comment il avait sympathisé à l’académie Goncourt avec Régis Debray, alors que ce dernier le vouait aux gémonies depuis les années 1980. Avec Jean d’Ormesson aussi, ce fut houleux avant de s’apaiser. Bernard Pivot devrait s’établir comme conseiller amical : il semble savoir effacer chez lui autant que chez les autres rancoeurs et ressentime­nt. Malgré son éternelle bonne humeur, l’homme au million d’abonnés Twitter n’est pas dupe. Du xviie siècle il a retenu cette maxime : « Quelque rare que soit le véritable amour, il l’est encore moins que la véritable amitié. » L’idée de ce livre lui est venue en écrivant l’éloge mortuaire de son meilleur ami historique, Jean-Claude Lattès. Le projet de Pivot n’est pas de s’imposer en nouveau gourou de la psychologi­e positive. Entre deux anecdotes personnell­es, il se penche sincèremen­t sur le problème de l’amitié. Ayant atteint l’âge vénérable de 86 ans, l’animateur d’Apostrophe­s a acquis une certaine connaissan­ce du coeur humain. Les meilleures pages sont celles où il prend le ton du moraliste revenu de certaines illusions. L’amitié n’est pas un long fleuve tranquille, elle est hélas souvent tissée d’intérêts et de comédies. Comment démêler le vrai du faux ? Il ne donne pas de recettes toutes faites, se souvient de Robert Sabatier et de Jorge Semprún, appelle à la rescousse Colette et Cicéron, dont il aurait aimé être l’ami – sans doute auraient-ils apprécié autant que lui les vins de Bourgogne et l’AS Saint-Étienne. Pivot n’a plus l’âge de jouer au foot, mais on peut encore boire ses conseils. Après avoir refermé ce livre, le lecteur confronté à une amitié chancelant­e devra résoudre seul ce dilemme : passer un coup de fil cordial ou envoyer une lettre assassine.

AMIS, CHERS AMIS

BERNARD PIVOT

160 P., ALLARY, 17,90 €

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