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Geôle et môme

Plébiscité­e entre autres pour Bakhita, la romancière et dramaturge revient avec Le Gosse, pavé déchirant sur les bagnes pour enfants de l’entre-deux-guerres. Portrait.

- Hubert Artus

Le timbre est langoureux, la diction régulière, le phrasé est précis et élégant : sa voix est de celles qui vous embarquent et vous scotchent en même temps. Elle semble guidée par un moteur à deux temps : la tranquilli­té et l’enthousias­me. Quand elle évoque l’évolution de son travail, elle parle d’« amplitude » et de « vertige ». Deux axes, donc. On se rappelle alors que la langue littéraire de Véronique Olmi a toujours alterné la retenue et la force d’une implosion, d’une image ou d’une révélation surgissant tout à coup. Cette langue est la même dans son quatorzièm­e roman et, pourtant, on y entend comme une octave différente. Car l’écrivaine adapte toujours son niveau de voix à son histoire.

DE LA SCÈNE À LA PAGE

Le Gosse nous met dans les pas de Joseph, dont nous apprenons à la toute première ligne qu’« Il est né le 8 juillet 1919 et [qu’] il en est fier ». « La pratique du théâtre m’a beaucoup appris sur la façon de faire parler un personnage : selon sa condition sociale, son âge et son époque », nous explique Véronique Olmi pour justifier son choix narratif : à la troisième personne et au présent, comme un roman d’action. Elle poursuit : « Écrire, c’est comme placer un diapason : ça donne le la, l’intériorit­é du personnage, donc son souffle, et donc la scansion. Joseph est un enfant. Les enfants n’anticipent pas, ils sont toujours dans le présent, ils découvrent en permanence. Ils sont aussi en alerte permanente…»

Ce travail de voix rappelle qu’avant de se faire romancière Véronique Olmi était dramaturge, et même comédienne. Depuis Le Passage en 1991, ce sont neuf pièces qui ont été écrites, publiées et jouées (souvent avec elle) sur des scènes prestigieu­ses. En 1998, par exemple, elle

en avait trois à l’affiche : Chaos debout au Festival d’Avignon, Le Passage au théâtre des Abbesses à Paris, et Point à la ligne au Vieux-Colombier. Passer de la scène à la page lui a été lancé comme un défi : « Mes pièces étaient publiées par Actes Sud, et une éditrice de la maison a demandé à trois de ses auteurs d’écrire un roman : Olivier Py, Laurent Gaudé et moi-même. On m’avait toujours dit qu’un dramaturge ne pouvait pas être romancier, et j’en étais persuadée. J’ai montré quelques petites nouvelles, dont l’une basée sur un fait divers. Elle y voyait un roman. Pas moi. » Ce fut pourtant le premier publié, en 2001 :

Bord de mer, récit à la première personne d’une mère infanticid­e. Couronné par le prix Alain-Fournier. Dix ans après, Cet été-là reçoit le prix Maison de la Presse. Depuis, ses ouvrages sont traduits dans une vingtaine de langues.

De telle sorte qu’aujourd’hui elle ne fait

« plus que ça » : écrire des romans. Quitte à prendre une montagne de risques : « Pour pouvoir écrire Bakhita, j’ai vendu ma maison et fait un emprunt à ma banque. » La chance sourit aux audacieux, on connaît l’adage. En 2017, Bakhita fut l’un des romans marquants de la rentrée, par ailleurs lauréat du prix du roman Fnac et finaliste du Goncourt, du Femina et du Goncourt des Lycéens (« avoir raté ce dernier est ma seule déception »). Ce succès lui a permis « de rembourser la banque ! », et lui a aussi offert « la liberté. Celle de continuer à écrire les suivants. D’abord le temps, qui est un luxe absolu ».

UN « GOSSE » PLUS PRÉSENT QU’IL N’EN A L’AIR

Le temps, par exemple, de se rendre en 2020 sur le site de l’ancienne colonie agricole et pénitentia­ire de Mettray (Indre-etLoire). Aujourd’hui institut thérapeuti­que, éducatif et pédagogiqu­e, le lieu fut un bagne pour enfants jusqu’en 1939. Un certain Jean Genet y avait été orienté de 1926 à 1929, après avoir été incarcéré à la prison pour enfants de la Petite Roquette à Paris – lire Miracle de la rose. Joseph, le « gosse » du roman éponyme, passera par ces deux lieux. La première intention de Véronique Olmi, qui avoue sa fascinatio­n pour l’écrivain… et dramaturge (tiens, tiens), c’était « un roman en miroir : un personnage qui croisait Genet à Mettray, et se mettait à lui écrire tous les jours ». Ce fut en visitant l’endroit, justement, que l’écrivaine comprit « que Genet n’avait pas sa place dans [s]on roman, pourtant bien avancé ! ». Le déclic, comme pour Bakhita d’ailleurs, fut une photo : un « colon » de Mettray (comprenez : un enfant retenu à la colonie) qui tient un cornet à piston. Il lui fallut tout recommence­r, mais elle avait la clé. Et, comme indiqué plus haut, elle trouva le la pour raconter ce gosse, Joseph, que nous rencontron­s en 1926, orphelin de père, puis bientôt de mère. On le suit de famille d’accueil en colonie pénitentia­ire, en passant par la prison pour enfants de la Petite Roquette (Paris) et autres étapes. Avec un cornet à piston, dans les France du Front populaire. C’est son histoire. Mais c’est aussi un miroir (revendiqué par l’écrivaine) aux débats récents et récurrents sur les violences en familles d’accueil ou dans les foyers de l’Aide sociale à l’enfance. Le Gosse est plus présent qu’il n’en a l’air.

Une « présence au monde » que souligne d’ailleurs l’écrivaine Karine Tuil, l’une de ses amies les plus proches : « En plus d’être une très grande romancière, elle est aussi une dramaturge et une comédienne qui, par sa voix, sa pensée et sa présence au monde, donne aux mots une résonance et une puissance particuliè­res : ce qu’on appelle le talent. » Sa consoeur Véronique Ovaldé – par ailleurs éditrice de l’écrivaine chez Albin Michel – souligne « son écoute et sa sagacité [qui] lui permettent d’écrire des livres à la fois accueillan­ts et sans concession ». Deux temps, deux énergies. La densité et la douceur. Et Véronique Olmi qui a su poser la voix.

« ÉCRIRE, C’EST COMME PLACER UN DIAPASON : ÇA DONNE LE LA, L’INTÉRIORIT­É DU PERSONNAGE »

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 ?? ?? ★★★★☆ LE GOSSE VÉRONIQUE OLMI 304 P., ALBIN MICHEL, 20,90 €
★★★★☆ LE GOSSE VÉRONIQUE OLMI 304 P., ALBIN MICHEL, 20,90 €

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