Des racines et des textes
Entre l’Irlande et une mystérieuse taïga, les romancières québécoises s’emparent de manière très personnelle de la question des origines.
Cet hiver, la littérature québécoise offre une place de choix à la question des racines. Deux romans, fort différents, explorent la nécessité de garder en mémoire ces cultures ou ces lieux qui fondent les individus que nous sommes. Outre-Atlantique, cela fait plus de dix ans que les Québécoises Perrine Leblanc et Audrée Wilhelmy, remarquées dès leurs premiers romans, séduisent les lecteurs. L’une a remporté le prestigieux prix du Gouverneur général en 2011, l’autre en fut finaliste en 2012. Cette année, elles s’offrent un aller simple dans les limbes du passé à travers deux beaux romans, qui se démarquent par leur originalité sur un thème pourtant rebattu.
Perrine Leblanc y entre frontalement, décortiquant le conflit nord-irlandais à travers le prisme du journalisme et de ces Gens du Nord qui subissent les répercussions de cette violence. Sujet passionnant autour de Samuel Gallagher, écrivain enlevé par l’IRA et laissé pour mort en raison de ses positions en faveur d’une Irlande réunifiée – une histoire qui capte l’intérêt des personnages principaux, deux journalistes. On y ressent une envie d’illustrer les rouages d’une Grande-Bretagne longtemps ébranlée par une ségrégation confessionnelle, l’espionnage et le terrorisme de grande ampleur. L’autrice montréalaise fait pudiquement hommage au vécu de ses ancêtres contraints de fuir l’Irlande pour le Québec, un devoir de mémoire migratoire pour ne jamais oublier.
RETOUR AU VERT
De son côté, Audrée Wilhelmy offre à son lecteur un tout autre récit, pour ne pas dire un conte réaliste, illustrant brillamment la force des racines par l’impact des lieux de notre enfance et la façon dont ils fondent ce que nous sommes à l’âge adulte. Dans Blanc résine, l’autrice imagine une relation entre deux protagonistes que tout oppose : l’une est fille de la taïga, nourrie au sein d’une nature luxuriante et sauvage, l’autre un garçon albinos né dans le paysage charbonneux des usines. Alors qu’ils trouvent un village où s’établir, l’appel de la forêt se fait sentir. Comprendre l’autre dans son entièreté ou accepter son « mal du pays » est une problématique qu’Audrée Wilhelmy, très inspirée par Anne Hébert, esquisse remarquablement bien dans ce récit. Elle y sublime le féminisme, la beauté des différences et l’esthétique de l’inhabituel, portant fièrement la culture plurielle de sa province québécoise.