Lire

De l’importance d’être Constance

La rédaction est divisée sur le nouvel ouvrage de l’autrice, réputée sulfureuse, qui s’en prend à l’idée de famille. Doit-on dire oui à Nom ?

- Simon Bentolila

« UNE DORIAN GRAY À L’ENVERS »

Parce qu’elle se rase le crâne, arbore des tatouages et revendique son homosexual­ité, certains passent à côté de Constance Debré. Elle aggrave son cas avec ses phrases courtes et son discours émancipate­ur appelant à s’affranchir des attaches familiales. Pour ses détracteur­s, le dossier est clos : c’est une progressis­te à la noix avec un look punk snob qui fait bien en photo. Rappelons que cette femme inclassabl­e est née dans l’élite, a lu tous les classiques et fait de brillantes études. Comme l’énarque Guillaume Dustan avant elle, elle brûle ses vaisseaux en connaissan­ce de cause. Quand elle raille dans Nom la mythologie Debré, ce n’est pas un caprice d’enfant gâtée : on y sent l’influence de Proust et de Thomas Bernhard. Son style est réfléchi, et sa sécheresse toute janséniste – on peut porter des Dr Martens et avoir lu Pascal. Difficile de ne pas aimer un écrivain pareil, qui allie pensée originale et humour ravageur. C’est une Dorian Gray à l’envers : derrière l’apparence sombre, une personnali­té lumineuse. Constance Debré : born to be Wilde ! Louis-Henri de La Rochefouca­uld

« DE L’ÉPATE-BOURGEOIS »

Nous l’aurons compris, Constance Debré entend se dépouiller de ses attributs de classe. La petite-fille de ministre le martèle dans un troisième tour de piste : « Pas d’argent, pas de maison, pas d’héritage. » Cracher dans le caviar est une recette qui fait florès. À quelques exceptions près – dont la mort de son père survenue en 2020 –, elle reprend dans Nom les mêmes ingrédient­s autofictio­nnels en amplifiant sa radicalité.

Après tout, son modèle stylistiqu­e – la Christine Angot des débuts – a bien raconté maintes fois la même histoire, et parfois avec brio. D’une prose hachurée certes identifiab­le, l’ancienne avocate séduit, dérange, et fait de l’épate-bourgeois. Découvrant la lune du nihilisme, elle se targue de mépriser les pauvres – un mépris de classe qui ne fait curieuseme­nt pas sourciller –, propose d’abolir l’enfance, de brûler des livres et… patatras, la mort de la littératur­e ! Lorsqu’on assume d’avoir un tel ego, le mieux pour se préserver du ridicule est de faire preuve d’autodérisi­on. Mais la squatteuse d’élite le dit elle-même : « Il faut être très concentré, très sérieux quand on vit comme ça. » N’est-ce pas ce qui caractéris­e les snobs ?

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France