De l’importance d’être Constance
La rédaction est divisée sur le nouvel ouvrage de l’autrice, réputée sulfureuse, qui s’en prend à l’idée de famille. Doit-on dire oui à Nom ?
« UNE DORIAN GRAY À L’ENVERS »
Parce qu’elle se rase le crâne, arbore des tatouages et revendique son homosexualité, certains passent à côté de Constance Debré. Elle aggrave son cas avec ses phrases courtes et son discours émancipateur appelant à s’affranchir des attaches familiales. Pour ses détracteurs, le dossier est clos : c’est une progressiste à la noix avec un look punk snob qui fait bien en photo. Rappelons que cette femme inclassable est née dans l’élite, a lu tous les classiques et fait de brillantes études. Comme l’énarque Guillaume Dustan avant elle, elle brûle ses vaisseaux en connaissance de cause. Quand elle raille dans Nom la mythologie Debré, ce n’est pas un caprice d’enfant gâtée : on y sent l’influence de Proust et de Thomas Bernhard. Son style est réfléchi, et sa sécheresse toute janséniste – on peut porter des Dr Martens et avoir lu Pascal. Difficile de ne pas aimer un écrivain pareil, qui allie pensée originale et humour ravageur. C’est une Dorian Gray à l’envers : derrière l’apparence sombre, une personnalité lumineuse. Constance Debré : born to be Wilde ! Louis-Henri de La Rochefoucauld
« DE L’ÉPATE-BOURGEOIS »
Nous l’aurons compris, Constance Debré entend se dépouiller de ses attributs de classe. La petite-fille de ministre le martèle dans un troisième tour de piste : « Pas d’argent, pas de maison, pas d’héritage. » Cracher dans le caviar est une recette qui fait florès. À quelques exceptions près – dont la mort de son père survenue en 2020 –, elle reprend dans Nom les mêmes ingrédients autofictionnels en amplifiant sa radicalité.
Après tout, son modèle stylistique – la Christine Angot des débuts – a bien raconté maintes fois la même histoire, et parfois avec brio. D’une prose hachurée certes identifiable, l’ancienne avocate séduit, dérange, et fait de l’épate-bourgeois. Découvrant la lune du nihilisme, elle se targue de mépriser les pauvres – un mépris de classe qui ne fait curieusement pas sourciller –, propose d’abolir l’enfance, de brûler des livres et… patatras, la mort de la littérature ! Lorsqu’on assume d’avoir un tel ego, le mieux pour se préserver du ridicule est de faire preuve d’autodérision. Mais la squatteuse d’élite le dit elle-même : « Il faut être très concentré, très sérieux quand on vit comme ça. » N’est-ce pas ce qui caractérise les snobs ?