L’enfer au paradis
Avec ce bijou noir et corrosif, l’écrivaine mexicaine publie un grand roman sur la banalité du mal.
Et si l’avenir de la littérature sud-américaine se conjuguait au féminin ? À la suite des monstres sacrés García Márquez, Sepúlveda ou encore Vargas Llosa, de géniales héritières s’imposent désormais sur la scène mondiale avec des oeuvres furieuses qui explorent sans concession les errances coupables d’un continent en pleine crise de conscience. Après Mariana Enriquez, révélation de la dernière rentrée avec Notre part de nuit, chef-d’oeuvre de littérature horrifique qui rassemblait toutes les angoisses de l’Argentine, c’est au tour de la Mexicaine Fernanda Melchor d’illuminer notre hiver littéraire avec une plongée immersive et radicale au coeur de la violence qui ronge son pays. Déjà, avec La Saison des ouragans, récit ébouriffant du meurtre d’une « sorcière » dans l’État de Veracruz, elle s’était révélée comme la brillante incarnation d’une nouvelle génération bien décidée à faire entendre la parole des femmes dans un pays où dix d’entre elles sont assassinées chaque jour. Avec Paradaïze, elle récidive et enfonce le clou. Dans ce fulgurant monologue, elle fait le portrait au vitriol des ravages de la culture machiste et raconte la collusion destructrice entre deux êtres aux antipodes de la société mexicaine. Polo, un enfant des quartiers pauvres qui travaille en tant que jardinier dans une résidence haut de gamme, fait la connaissance de Franco, un gosse de riche obèse et dépravé qui tue l’ennui dans la boisson et la pornographie. Ce dernier lui confie son obsession sexuelle pour sa voisine et lui explique son plan pour la conquérir. Bien que médusé par la folie de son acolyte, Polo se laisse prendre au jeu dans l’espoir de s’offrir enfin une vie meilleure. Sans savoir qu’il vient de signer un pacte avec le diable.
Récit au cordeau d’une descente aux enfers incontrôlable, Paradaïze est un redoutable instrument de torture littéraire. La tête entre les mains, le souffle court, le lecteur observe, impuissant, Polo prendre toutes les mauvaises décisions possibles et détourner le regard des seules échappatoires qui lui sont offertes. Comme s’il était pris au piège d’une terrible danse macabre, condamné à être le symbole tragique d’un pays qui ne peut plus s’arrêter de tuer.
Après Morte la bête (2011) et ses successeurs, Le Polonais fou est le cinquième volet des enquêtes de l’inspecteur Konrad Simonsen. D’un caractère franc et placide, ce sexagénaire, nous dit-on, est habitué « à être obéi dans des situations critiques ». Ça tombe bien : son équipe est sur les dents. Dans la baie de Copenhague, un ferry vient de percuter un bateau-mouche à la dérive. Bilan ? Vingt et un morts, parmi lesquels des enfants asiatiques, et des adultes, apparemment poignardés à bord juste avant l’accident. Pauline Berg est du nombre. Membre de la brigade criminelle, cette jeune femme ambitieuse était obsédée par une affaire irrésolue, sur laquelle il va falloir de nouveau se pencher. La piste mène loin : jusqu’en Bosnie, notamment, à Srebrenica, où des soldats de l’armée danoise, en 1995, étaient présents. Au coeur du mystère ? Bjørn Lauritzen, le « Polonais » du titre, un peu vite déclaré mort…
Les romans des Hammer ne brillent guère par leurs scènes d’action ; leur intérêt réside surtout dans le déploiement d’une investigation aux ramifications insoupçonnées. Celui-ci, comme les autres, est haletant, étonnant, tout de lenteur, subtil et dramatiquement humain. ★★★☆☆ LE POLONAIS FOU (DEN SINDSSYGE POLAK) SØREN ET LOTTE HAMMER TRADUIT DU DANOIS PAR FRÉDÉRIC FOURREAU, 448 P., ACTES SUD, 23 €