POUPÉES RUSSES
À l’heure où la Russie fait beaucoup parler d’elle dans l’actualité, plusieurs romanciers de langue française se penchent sur elle. Ou, plutôt, sur ce qu’elle représente en tant qu’imaginaire littéraire, dans des fictions vertigineuses. Parmi ces écrivains, deux nous ont particulièrement intéressés, voire fascinés. Remarqué avec les étranges F et S, Luis Seabra continue d’explorer une veine néokafkaïenne avec L’Excuse – comme la carte du tarot… Le jeu de cartes est l’un des nombreux instruments thérapeutiques (plus ou moins « légaux ») d’un obscur médecin russe, qui s’occupe d’un ingénieur, Vassili, traumatisé par la mort de ses filles jumelles et désormais tombé dans la folie. Mais cette dernière ne se situe pas toujours là où on le croit. Réalité et culpabilité sont ainsi au coeur de ce saisissant jeu de miroirs, à la lisière du fantastique et qui dépasse la vie des personnages pour saisir l’âme d’un pays.
Si les lois psychanalytiques se trouvent au coeur de L’Excuse, ce sont plutôt les mathématiques qui régissent le premier roman de Yann Brunel, l’ambitieux
Homéomorphose. Elles sont en effet nombreuses au coeur du récit – et même au début de chaque chapitre –, qui tient sur l’opposition entre un père, Vladimir, et son fils Dmitri, génie des équations en pleine déchéance. Mais au-delà de la simple chronique familiale dans un territoire hostile, c’est un grand échiquier feuilletonesque et politique qui se dessine ici, quitte à parfois saturer la narration d’informations… Qu’importe : il y a là du souffle, un désir de littérature ô combien salutaires. Osera-t-on alors conclure
« na zdorovie » ?