« Simenon est un auteur tentant pour les cinéastes »
Gérard Depardieu est à l’affiche de Maigret, réalisé par Patrice Leconte d’après un roman de Georges Simenon. Entretien avec le cinéaste des Bronzés et de Monsieur Hire, qui nous offre une bouleversante adaptation.
Maigret est le second roman de Simenon que vous adaptez après Monsieur Hire. Avez-vous une affection particulière pour cet écrivain ?
Patrice Leconte. Ma grand-mère maternelle lisait beaucoup Simenon. Uniquement les
Maigret. J’ai fini par les lire moi-même. J’étais ado, je trouvais ça bien mais je pensais que c’était de la littérature facile puisque c’était facile à lire. Plus tard, arrivé en terminale, le prof de philo annonce que nous allons étudier Kant, Kierkegaard et Descartes mais que pour lui le plus grand philosophe était Georges Simenon. Voilà tout à coup adoubé l’homme que je lisais. Je ne l’ai jamais quitté.
Devenu cinéaste, vous le lisiez pour trouver des histoires à raconter ?
P.L. Non, pour mon bonheur de lecteur. Simenon est un auteur tentant pour les cinéastes. Si on ne regarde pas derrière les lignes, on peut penser que le scénario est déjà tout fait. Évidemment non. Il y a chez lui des tas de choses passionnantes très difficiles à mettre en image, notamment l’intériorité des personnages. La série des
Maigret est encore moins facile à adapter. L’intrigue n’est pas ce qui intéresse le plus Simenon. Contrairement à deux autres romanciers que j’aime beaucoup, Conan Doyle et Maurice Leblanc, chez qui les péripéties sont nombreuses.
Vous avez adapté Modiano, Zweig ou une pièce de Florian Zeller. Est-ce un travail particulier ?
P.L. Alors à l’IDHEC [ancien nom de la Fémis], je me souviens de ce que nous avait
dit Jean-Claude Carrière : « Si vous voulez adapter un livre vous le lisez, une fois, deux fois, dix fois, tant que vous voulez et au moment d’en écrire l’adaptation, vous le refermez et vous ne le lisez plus jamais. »
Sous-entendu : « Dites ce qu’il reste de vos lectures, pas le livre lui-même. » Avec Maigret, Jérôme Tonnerre et moi avons pris de grandes libertés avec le roman original Maigret et la Jeune Morte. Je vais maintenant pouvoir relire le livre…
Qui a eu l’idée d’adapter Simenon ?
P.L. C’est Jérôme Tonnerre, mon coscénariste. Il m’a incité à relire les Maigret. Comme il y en a beaucoup, on s’est partagé le travail d’abord en nous aidant d’un livre qui répertorie tous les romans de la série. Nous avons fait un premier écrémage en écartant les intrigues, les lieux ou les milieux qui ne nous plaisaient pas. Jérôme est tombé sur Maigret et la Jeune Morte.
Pourquoi celui-là ?
P.L. C’est un roman bouleversant. Maigret n’enquête pas pour savoir pourquoi cette jeune fille a été tuée mais pour savoir qui elle était et, en quelque sorte, lui redonner vie. Maigret est un peu à la fin de sa carrière, il se désenchante du monde : c’est comme s’il enquêtait sur lui-même. Il ne parle pas de sa fille décédée dans ce roman-là mais on sait que Maigret a perdu une fille.
Vous avez donc décidé de gommer d’autres aspects du roman : Pigalle, les voyous, l’arnaque…
P.L. Oui, supprimer tout ce qui ferait cliché du genre. On a eu aussi l’idée que Maigret arrête la pipe sur ordre médical. Là encore, éviter le cliché. Je n’avais pas du tout envie de filmer les planques, les bars… Votre adaptation fait aussi le lien avec la mort de la fille de Simenon [Marie-Jo s’est suicidée en 1978 ; le livre a été écrit en 1954]. Est-ce une façon de lui rendre hommage ?
P.L. Non pas directement, mais l’hommage existe. De la même manière, quand Kaplan dit à Maigret, joué par Depardieu : « Quand on perd un enfant on perd tout, il ne reste rien que la nuit » et que Depardieu
répond : « Je sais Monsieur Kaplan, je sais », la réplique touche évidemment Gérard. Elle est chargée de tristesse personnelle intense. On n’a pas fait quinze prises.
Il y a plusieurs clins d’oeil à Alfred Hitchcock : le nom Kaplan est celui d’un des personnages de La Mort aux trousses et une scène fait allusion à Sueurs
froides, sans trop en dire…
P.L. Kaplan, c’est délibéré. En revanche, et c’est étonnant, l’éventuelle référence à Sueurs froides m’est complètement passée au-dessus de la tête.
Ce n’est pas possible, c’est tellement évident…
P.L. Je vous jure. Je n’y ai jamais pensé et Jérôme non plus. Je n’avais pas vu Sueurs
froides depuis très longtemps ; je l’ai donc revu puisque tout le monde m’en parle. J’adore James Stewart, je suis heureux de passer du temps avec lui, mais je n’aime toujours pas le film. L’histoire ne tient pas debout. Bien sûr, je comprends l’allusion et on est tous nourris de ce qu’on voit mais pourquoi j’aurais fait hommage à un film que je n’aime pas…
Depardieu est-il votre choix ?
P.L. Oui, on savait qu’on avait envie de tourner l’un avec l’autre. Quand je vois le film terminé je me demande pourquoi personne n’y a jamais pensé. Je me souviens encore du premier jour avec lui. Avant de tourner, je le vois apparaître en costume de loin. La démarche, la silhouette… Eh bien voilà ! Il était là. Depardieu a un talent extraordinaire ; il a une telle intuition du jeu, du personnage, de la scène. Je lui ai demandé pourquoi il déconnait autant entre chaque prise ; il passe en un dixième de seconde du pitre à l’acteur… Il m’a répondu : « Plus je me déconcentre, plus je suis concentré. » Effectivement, ça marche. Depardieu ne s’use pas, il donne le meilleur immédiatement. Cette intensité est très émouvante pour un cinéaste.
Maigret, de Patrice Leconte avec Gérard Depardieu, Jade Labeste, Mélanie Bernier… En salles le 23 février.