« Je voulais rendre hommage aux artistes emprisonnés pour avoir défendu leur vision »
Entretien avec la réalisatrice franco-camerounaise Osvalde Lewat, lauréate du Grand Prix panafricain de littérature* grâce à son premier roman Les Aquatiques.
Les Aquatiques se situe dans un pays d’Afrique fictif, le Zambuena, une dictature qui se présente comme modérée. C’est l’histoire de Katmé, une ex-enseignante coincée entre les ambitions de son préfet de mari et le travail de son ami d’enfance Samy, un artiste qui dénonce les conditions de vie insalubres de ses voisins surnommés « Les Aquatiques ». Ce roman d’une tentative d’émancipation dresse le portrait en miroir d’une femme et de son pays. Entretien avec son autrice, Osvalde Lewat, documentariste et photographe d’art née au Cameroun et installée à Paris.
D’où vient Katmé, l’héroïne des Aquatiques ?
Osvalde Lewat. Elle a été inspirée par des femmes avec lesquelles j’ai grandi, qui étaient fortes et portaient un regard lucide sur le monde, mais qui, paradoxalement, avaient fait le choix de vivre selon le confort de la communauté. Elles prenaient des décisions contraires à ce qu’elles voulaient vraiment afin de ne pas dévier de la ligne de ce qui est admis dans un contexte africain, cette ligne tracée pour elles depuis l’enfance. Au Cameroun, où je suis née, une femme est considérée comme incomplète tant qu’elle n’est pas mariée. Très tôt, j’ai refusé ce schéma. Cela n’a pas toujours été simple car, quoi que l’on fasse, il faut être légitimée par un homme. À travers Katmé, je voulais montrer qu’une femme peut s’autodéterminer contre un homme – fût-il puissant. Ce chemin de rencontre avec soi-même n’est pas un chemin facile, mais un chemin vers lequel il faut tendre.
La liberté de Katmé est mise à rude épreuve quand son ami artiste, Samy, est jeté en prison par les autorités…
O.L. Dans les espaces autoritaires, comme celui où se situe l’histoire, seuls les artistes ont le pouvoir de s’exprimer librement. Même si ce pouvoir est limité et soumis au contrôle de l’État. Avec Samy, je voulais rendre hommage aux artistes emprisonnés pour avoir défendu leur vision. Aussi, Samy s’arroge le droit de parler au nom des « Aquatiques » qui, au fond, ne lui ont rien demandé et qui questionnent sa démarche. C’est une position difficile car il se retrouve à l’intersection d’un État répressif qui le muselle et d’une communauté qu’il pensait défendre, mais qui estime qu’il n’a pas de légitimité à parler d’elle. Beaucoup d’artistes africains se retrouvent dans ce paradoxe-là. Malgré tout, ils continuent. Samy aussi, il ne recule pas.
Quelle est la place des langues française et camerounaise dans votre roman ?
O.L. J’ai grandi en français, mes parents me parlaient en français, je pense et je rêve en français. Je parle aussi deux langues camerounaises, le bangangté et le yabassi, transmises par mes grands-mères. Pour moi, ces langues se valent. Quand j’ai écrit
Les Aquatiques, il y a des scènes – et c’est la première fois que cela m’arrivait – qui me sont venues en bangangté. Petite, quand j’allais en vacances chez ma grand-mère, elle m’expliquait qu’il fallait « craindre
la panthère ». La panthère était à la fois notre totem et ce garde-fou qui forçait les enfants à rester sur le droit chemin. Lorsque la panthère apparaît dans le roman, Katmé ne comprend pas ce signe qu’on lui envoie, elle a oublié, elle n’est pas retournée dans la région d’origine de sa mère depuis une vingtaine d’années. À la fin, l’animal lui parle, et Katmé se réconcilie avec cette partie d’elle-même.
* Créé en 2021 par la République démocratique du Congo à l’occasion de sa présidence de l’Union africaine (UA), ce prix est doté de 30000 dollars. Le jury, composé notamment des écrivains Ananda Devi et Boubacar Boris Diop, devait choisir le meilleur livre de l’année 2021 écrit en français ou en anglais.