SIRI ET PAUL, JEU D’ÉQUILIBRE
Jusqu’au début des années 1990, Siri Hustvedt n’était, pour les lecteurs de l’écrivain américain Paul Auster, qu’un personnage du roman Léviathan : elle s’appelait Iris et se présentait comme la deuxième femme du personnage de Peter Aaron. Seuls les intimes du couple pouvaient alors reconnaître en elle l’épouse de l’écrivain – la poétesse alors confidentielle Siri Hustvedt. Trente ans après, plus personne ne songe à renvoyer cette femme de lettres à son statut d’épouse : son roman mélancolique
Tout ce que j’aimais, sur deux couples d’artistes confrontés à de multiples pertes, l’a assise comme
une excellente romancière, et ses essais infusés de critique d’art et de données scientifiques (Une femme regarde les hommes regarder
les femmes) ont fait d’elle une intellectuelle courtisée. Quant à Paul Auster, après avoir connu la gloire dans les années 1990 avec des romans comme Moon Palace ou
Mr Vertigo, il continue à écrire de très bons livres (Burning Boy, sur Stephen Crane), mais qui suscitent moins de ferveur. Est-ce à dire que l’une est devenue meilleure que l’autre ? Plutôt une question d’air du temps. La littérature d’Auster parle de mystérieuses lois qui régissent les coïncidences (La Musique du hasard), de la vie urbaine et les intrigues absurdes qu’elle peut susciter
(la trilogie new-yorkaise) : autant de thèmes marqués par l’époque de leur rédaction. Au contraire, les textes de Hustvedt, comme le bien titré Un été sans les hommes, apparaissent en phase avec le féminisme actuel, dont ils participent à nourrir le versant cérébral…