LE SPECTRE DU MARÉCHAL
Ce livre résonne et raisonne. Son intérêt principal – et celui du podcast associé – est d’éclairer le présent à la lumière de la trajectoire pernicieuse du vainqueur de Verdun. Trajectoire d’un soldat glorieux devenu accompagnateur de la perdition française dans la Collaboration et fossoyeur de tous les acquis de la République. Philippe Collin et la kyrielle d’historiens interrogés pour les besoins de son enquête éclairent, démasquent les « tritureurs » de l’Histoire qui sévissent par les temps qui courent. Le journaliste avait commencé son travail bien avant qu’Éric Zemmour n’entre en campagne, mais le frisson d’effroi que tout bon républicain peut ressentir en écoutant le polémiste d’extrême droite trouve son explication documentée dans Le Fantôme de Pétain. Philippe Collin n’évoque pas l’actualité de 2022 et sa petite musique de nostalgie réactionnaire qui nimbe nos débats, et sa démonstration n’en est que plus frappante. Le livre et le podcast décortiquent les mécaniques toujours à l’oeuvre du mauvais usage de la gloire, du piège de l’homme providentiel, du poison de la nostalgie instrumentalisée, de la bêtise du « c’était mieux avant ».
L’historienne Bénédicte Vergez-Chaignon nous fait comprendre à quel point le maréchal Pétain bénéficiait d’une extraordinaire aura entre les deux guerres et comment il a patiemment construit sa stature d’homme recours dans les années 1920 et 1930. Les passages sur la Révolution nationale, c’est-à-dire sur l’idéologie de l’État français instauré après l’effondrement de la IIIe République en juin 1940, sont particulièrement parlants. L’effet miroir avec les discours de cette droite réactionnaire d’aujourd’hui qui mène un combat culturel autant que politique fonctionne à plein. « Pétain veut faire entrer le pays dans une phase de rédemption », explique l’historien Éric Alary. Le fameux « Je hais ces mensonges qui nous ont fait tant de mal », la critique incessante, par le maréchal, de l’esprit de jouissance et de l’individualisme résonnent avec la dénonciation zemmourienne de l’esprit de permissivité de 1968. Les images sépia d’une France rurale, laborieuse, familiale et traditionnelle, qu’utilise Éric Zemmour dans ses clips de campagne, sont de la même facture que l’imagerie de la propagande pétainiste. Le « mythe de la France éternelle », dit Philippe Collin, instruit par les historiens
et par les archives patiemment dénichées, « est la matrice du pétainisme ». Le « Vive la République et
surtout… surtout… vive la France ! », qui conclut les discours du candidat d’extrême droite, renvoie à cette idée qui culpabilise (explicitement chez Pétain et en creux chez Zemmour), la Révolution française. On comprend mieux pourquoi Éric Zemmour banalisait les fautes de Vichy et tentait de réhabiliter la théorie fumeuse dite du glaive et du bouclier, pour insinuer une entente secrète et une répartition des rôles entre Pétain et de Gaulle entre 1940 et 1945…
Mais attention. Si le fantôme du maréchal rôde toujours, si connaître cette histoire est utile pour mieux prévenir la mauvaise pente qu’une partie de la droite emprunte, il ne faut pas pour autant céder à l’anachronisme. Le pétainisme est une idéologie de circonstance « liée à
la défaite », dit Henry Rousso. Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans une situation de défaite… mais nous n’en sommes pas loin avec la crise de la représentation, le pessimisme ambiant et cette crise dite « identitaire » de la « désespérance de la Nation ».